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dont le pied était caché dans d’épais buissons de ronces et d’églantiers. Quand venait le beau mois de juin, l’on entendait le rossignol chanter toute la nuit sous ces ramées profondes, et la pervenche fleurissait à l’abri de ces tranquilles ombrages comme dans ses forêts natales. Le sentier qui coupait ce bocage s’égarait en tant de détours, que l’on pouvait, sans revenir sur ses pas, faire une assez longue promenade.

Félise courait en avant, impatiente et curieuse. L’aspect des gazons flétris, des arbres dépouillés, ne lui retraçait aucun souvenir ; elle ne se rappelait que la verdure et les fleurs de l’été précédent. Une fois, cependant, elle s’arrêta tout à coup, et dit, en regardant les grands arbres qui s’arrondissaient en berceau au-dessus de sa tête : — Ma tante Geneviève, il y a des allées comme cela autour de notre château, et puis il y a le parc. Nous allions jouer dans le parc ; vous en souvenez-vous ?

— Regarde, regarde donc ! interrompit la sœur Geneviève au lieu de lui répondre, voilà Bethléem !

— Cette maisonnette ! s’écria l’enfant.

— Entre vite, et tu verras, dit Cécile en l’entraînant.

C’était un pavillon rustique dans lequel les religieuses faisaient, chaque année, pour les fêtes de Noël, une représentation de la Nativité, Il eût été, certes, très difficile d’imaginer un tableau plus naïf et plus original. Des rameaux d’arbres verts, entremêlés de mousse et de rocaille, composaient le paysage, dont le ciel était représenté par des feuilles de papier bleu parsemées d’étoiles d’argent. Un bocal de verre, caché dans la mousse, figurait un lac où nageaient des poissons rouges. L’étable dans laquelle naquit Notre-Seigneur avait un toit de chaume, soutenu par des bâtons dorés, et, pour rendre cette demeure plus décente, les bonnes sœurs avaient eu l’idée de mettre un miroir au fond de la crèche. Il avait fallu une adresse et une patience de nonne pour vêtir les personnages qui venaient, dans leurs plus beaux atours, adorer le nouveau-né. Il y avait des gens de tous les rangs, depuis la laitière en bavolet et l’Auvergnat porteur d’eau, jusqu’à la dame en habit de cour et au financier en grande perruque. Au milieu de cette multitude, l’on voyait un homme en longue robe noire, portant rabat et chapeau à larges bords, lequel faisait le geste de donner sa bénédiction à une religieuse annonciade, qui apportait des œufs de Pâques à l’enfant Jésus.

Félise, debout sur un marche-pied en face de la crèche, n’exprimait son admiration et son étonnement que par des exclamations sans suite. Cette vue l’avait tout à coup réconciliée avec le séjour du couvent ; elle n’imaginait pas qu’il y eût au monde rien de plus beau que cette nombreuse réunion de poupées couvertes de magnifiques habits, et tout ce qu’elle avait aperçu en passant dans la rue Saint-Antoine lui sembla, par comparaison, fort mesquin. Quand elle fut un peu revenue de cette