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gonds, et une sœur converse se présenta. Après avoir fait une espèce d’inclination qu’on aurait pu prendre également pour une génuflexion et une révérence, elle dit à demi-voix, d’un ton de civilité béate : — Jésus, Marie soient avec vous, madame ; prenez la peine d’entrer et de vous asseoir.

Le parloir des Annonciades était une vaste salle qu’une double grille recouverte d’un rideau noir divisait en deux parties égales, l’une communiquant avec l’intérieur du couvent et faisant partie de ce qu’on appelait la clôture, l’autre destinée à recevoir les personnes du monde qui obtenaient la permission de visiter les religieuses. Le goût dans lequel cette pièce était décorée indiquait qu’elle avait eu naguère une autre destination ; en l’appropriant aux habitudes de la vie conventuelle, l’on y avait laissé subsister quelques traces de magnificence mondaine. Une tenture de cuir dont les gaufrures, dorées jadis, avaient pris un ton de bistre, cachait la nudité des murailles ; la cheminée, sous le manteau de laquelle on pouvait commodément s’asseoir, était ornée de charmantes sculptures, et le haut chambranle qui abritait le foyer, comme un dais de pierre, était cantonné de petits amours rians et joufflus, que les bonnes religieuses prenaient pieusement pour des chérubins. Les miroirs de Venise qui complétaient autrefois l’ameublement de ce salon d’apparat avaient été remplacés par des tableaux ; mais au lieu des austères figures de saints, des scènes lugubres du martyrologe dont les murs blanchis à la chaux de la plupart des monastères étaient tapissés, ces peintures représentaient deux femmes, deux grandes dames dans tout l’éclat de leur parure et de leur beauté : c’étaient les portraits des bienfaitrices de la maison, dont les recluses avaient orne leur parloir.

L’étrangère jeta à peine un regard autour d’elle, et, sans prendre garde à l’invitation de la sœur converse, qui l’engageait à se réchauffer devant la cheminée, où brûlait un bon feu, elle s’assit près de la grille en cachant machinalement dans les larges manches de sa pelisse ses mains rougies par le froid, et dit d’une voix faible : — Madame la supérieure doit avoir été avertie. Je viens, munie de la recommandation de monseigneur l’évêque d’Alais, visiter une de vos novices.

— Que Dieu conserve sa grandeur ! répondit la sœur laie ; notre révérende mère était prévenue de votre arrivée, et j’ai reçu ses ordres. Le parloir ne s’ouvre que deux fois l’année pour les parens au premier degré ; mais à la sollicitation de monseigneur, et par faveur spéciale, notre sœurs Geneviève a la permission d’y venir aujourd’hui. La voici.

En achevant ces mots, elle fléchit une seconde fois les genoux en inclinant la tête comme si elle allait se prosterner, et sortit par une petite porte qui communiquait avec l’intérieur du couvent. Aussitôt le rideau noir s’ouvrit lentement, et une femme voilée parut derrière la grille.