Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui s’est formée au sein de la confédération helvétique. La ligue subsistera donc. Le conseil d’état de Genève a même reconnu, tout en déclarant l’association illégale, que les sept cantons catholiques avaient eu pour s’associer des raisons plausibles, et il a soumis au grand conseil la question de savoir s’il ne conviendrait pas de leur donner des garanties. Condamner les principes et accepter les conséquences, c’est de la politique doctrinaire à la façon de Genève. Quoi qu’il en soit, d’autre part, les cantons libéraux se sont trouvés d’autant plus solidement unis, qu’ils étaient en face d’adversaires mieux disciplinés : 10 2/2 voix ont voté constamment d’accord. Dissoudre la ligue de Rothen, déclarer l’affaire des jésuites affaire fédérale, retirer définitivement la question des couvens du nombre des tractanda, tels sont les points auxquels s’attache par ses représentans directs la majorité du peuple suisse, majorité impuissante en face d’un équilibre organisé par le pacte fédéral au profit de la minorité. Il serait difficile de prévoir comment on sortira de ce défilé, où d’un côté comme de l’autre on ne peut plus faire un pas. Il est à craindre qu’à lutter ainsi front contre front les partis ne s’enveniment beaucoup : c’est là le trait distinctif de la dernière diète. Il s’y est proféré plus d’injures qu’on ne l’avait jamais osé.

Pendant que les états de la vieille Europe se consument ainsi en discordes infécondes, le jeune royaume fondé par les traités européens au seuil de l’Orient prend chaque jour de nouvelles forces, et s’affermit sous l’administration d’un patriote homme de bien. La Grèce doit beaucoup de reconnaissance à M. Colettis, et la France s’honore d’avoir si heureusement placé ses amitiés. Il y a maintenant deux ans passés que M. Colettis a pris les rênes de l’administration hellénique, en face d’un sénat presque tout révolutionnaire, d’une seconde chambre toujours inquiète et mobile : tout ce qu’il a dû vaincre de passions, d’intérêts égoïstes, pour ramener l’ordre et la paix, pour servir la cause du progrès matériel et intellectuel, il faudrait le dire plus longuement que nous ne le pouvons ici. En somme et pour résultat, une opposition d’une violence presque barbare demeure désormais impuissante, parce qu’elle a été dépopularisée. M. Colettis l’a désarmée par son sang-froid et ses dédains, en même temps qu’il pacifiait tout le pays par la confiance qu’il inspire. La session des chambres se termine avec la discussion du budget des dépenses ; la majorité s’est trouvée presque constamment acquise au ministère ; le bon sens et les nobles paroles de M. Colettis l’ont partout emporté. Ces discussions ont été généralement assez régulières, sauf quelques violences d’anciens palikares, trop semblables aux batailles peu parlementaires des membres du congrès américain. Nous avons surtout remarqué une belle séance : la commission du budget, soutenue par l’opposition, ne voulait plus faire les frais des ambassades, sous prétexte que la Grèce était trop pauvre pour employer la sueur du peuple à payer tout le faste qu’on étalait devant les étrangers. M. Colettis répondit admirablement à ces pauvres objections d’une politique sans grandeur : il ne fallait pas prendre la Grèce pour un état si inférieur ; elle avait son avenir, elle avait une place considérable entre l’Orient et l’Occident ; le gouvernement devait regarder au loin, s’il voulait écarter à l’avance les obstacles qui pouvaient arrêter le développement national ; veiller au bien et à l’intérêt du pays, ce n’était pas seulement administrer au jour le jour, correspondre avec les éparques et les démarques, poursuivre les brigands : c’était entretenir au dehors des relations nécessaires à la dignité de