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dans le paiement. En dehors de l’utilité immédiate de ces grands travaux comme moyen d’occupation et de sustentation pour des misérables aux abois, il est permis d’en contester l’avantage ultérieur ; l’Irlande a déjà bien assez de beaux chemins sans maisons bâties et sans champs cultivés. La montagne une fois ouverte ou la vallée comblée, le pain du lendemain cesse d’être assuré. Le million-act, qui date déjà de plus loin que la crise actuelle, présenterait du moins des ressources permanentes, s’il était mis pleinement en cours d’exécution. Le gouvernement offre des fonds aux propriétaires irlandais, jusqu’à concurrence d’un million sterling, avec garantie prise sur leurs terres, à la seule condition de dépenser tout cet argent pour les mettre en valeur. Assez long-temps insensibles à cette proposition, les landlords l’ont enfin examinée avec plus de sérieux, et il faut espérer qu’elle contribuera pour une part à soutenir leur malheureux pays dans cette effroyable épreuve.

La diète helvétique vient de clore sa session ; le spectacle qu’elle a donné n’est pas précisément à l’avantage des républiques fédérales, et, quelles que soient les difficultés qui entraveraient un gouvernement unitaire en Suisse, il faut bien convenir qu’elles sont au moins compensées par l’immobilité à laquelle aboutissent les gouvernemens cantonaux. Il semblerait que les cantons dussent envoyer leurs députés en diète afin de parvenir à concerter des mesures d’intérêt général ; c’est justement le contraire qui se passe, et le plus grand succès politique pour ces petits états ainsi agglomérés, sous prétexte d’en former un seul, c’est de se tenir tous en échec. Les circonstances et les intrigues aidant, les voix se trouvent également partagées sur les questions importantes, et il arrive ainsi ce qui n’arrive peut-être dans aucune autre constitution : grace aux fictions du système fédéral, l’immense majorité de la population suisse se heurte inutilement contre la résistance d’une faible minorité, elle n’a point d’action sur la patrie commune. Les cinq sixièmes du pays ne font pas plus de cantons et par conséquent ne fournissent pas plus de votans en diète que l’autre sixième encore celui-ci se compose-t-il principalement des parties les moins éclairées ; on sait ce que valent les écoles populaires dans Uri, Schwitz et Unterwald ; l’ignorance des montagnards est proverbiale, et toutes leurs institutions particulières se ressentent de cette infériorité. Leur capacité légale, leur droit représentatif ; n’en sont pas amoindris : ils en usent à leur guise, ou, pour mieux dire, au gré des habiles qui les mènent. La diète n’a donc encore rien fait cette fois-ci : on s’y attendait, mais à qui s’en prendre ? A la diète elle-même, au peuple suisse ? Il n’y a pas d’institution qui le représente effectivement tout entier ; la diète en corps n’a point de responsabilité, elle se résout en vingt-cinq cantons dont chacun a sa responsabilité propre. Chacun, étant souverain chez lui, se refuse à subir le jugement des autres, et s’abandonne sans partage à l’ascendant des personnes influentes qui le dirigent : c’est ainsi que quelques députés tiennent dans leurs mains les destinées de la Suisse, et que ses institutions s’effacent derrière des individus. Personne n’ignore que ces députés rédigent souvent eux-mêmes les instructions cantonales qu’ils sont supposés recevoir pour les apporter en diète ; ils se donnent à eux-mêmes leur mandat impératif ; Saint-Gall et Genève, par exemple, sont entièrement absorbés dans la personne de M. Baumgartner et de M. Demole, et la neutralité plus ou moins sincère de ces représentans tout puissans a seule empêché la diète d’avoir 11 2/2 voix contre cette ligue particulière