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gouvernement français a su échapper à une aussi triste disgrace. En vérité, ce n’est pas dans un cas pareil que nous aurons pour lui des paroles de blâme.

Il y a plus, l’Angleterre elle-même, lorsque son gouvernement était animé du désir sincère de maintenir l’entente cordiale, a reconnu l’intérêt et le droit qu’avait la France de porter toute son attention, toute sa sollicitude, dans la question du mariage de la reine Isabelle et de sa sœur. Il importe, pour éclairer tout ce débat, de se remettre en mémoire qu’à l’époque où lord Aberdeen accompagna au château d’Eu la reine Victoria, il y eut entre lui et M. Guizot de sérieuses conversations sur les affaires d’Espagne. On se fit de part et d’autre des concessions. En ce qui touchait le mariage de la reine Isabelle, l’Angleterre renonçait à présenter un Cobourg, et la France le duc de Montpensier. Il était convenu que la jeune reine épouserait un descendant de Philippe V. Quant au second mariage, le gouvernement français s’engageait à ajourner l’union du duc de Montpensier avec l’infante jusqu’au moment où la reine aurait donné un héritier à la couronne ; mais aussi il avait été entendu que, dans le cas où la France verrait reparaître la candidature d’un Cobourg, elle reprendrait toute sa liberté. De cette manière, on arrivait à une solution qui assurait l’avenir de l’Espagne, sans altérer en rien la bonne harmonie de la France et de l’Angleterre. C’est à ce but que lord Aberdeen, esprit sage et loyal, voulait marcher avec une entière sincérité.

Cependant il y avait une personne fort intéressée dans ces négociations matrimoniales, que cet arrangement ne satisfaisait pas entièrement. La reine Christine était convaincue qu’il y avait de grands inconvéniens à ne pas conclure en même temps les deux mariages de la reine et de l’infante, qu’en ajournant le second, on laissait toujours une porte ouverte à des éventualités fâcheuses. On sait de reste quels empêchemens rencontra la candidature du comte de Trapani. Il y eut dans la question du mariage un temps d’arrêt. Ce sont sans doute ces difficultés sans cesse renaissantes qui déterminèrent, il y a quelques mois, la reine Christine à envoyer un agent au prince Ferdinand de Cobourg, qui se trouvait alors à Lisbonne avec son fils Léopold. On peut juger si les ouvertures de cet agent furent accueillies. Si nous sommes bien informés, le représentant de l’Angleterre à Madrid entra dans le projet de la reine-mère. M. Bulwer est un homme d’esprit qui a toujours mis son amour-propre à contrarier la France, même au plus fort de la bonne harmonie entre les deux pays. Il travailla au succès de la candidature du prince de Cobourg avec une vivacité qui, assure-t-on, lui attira un blâme de la part de lord Aberdeen. Lord Aberdeen se souvenait de ce qui avait été dit au château d’Eu, et il condamnait, dans sa loyauté, des tentatives qu’il sentait devoir compromettre le bon accord de l’Angleterre et de la France. M. Bulwer fut si sensible à la désapprobation exprimée par son chef, qu’il alla jusqu’à offrir sa démission. C’est sur ces entrefaites que sir Robert Peel et ses collègues se retirèrent.

Quand lord Palmerston fut installé au département des affaires étrangères, on assure que le gouvernement français lui fit successivement plusieurs communications sur les affaires d’Espagne. A des questions multipliées sur ce sujet, lord Palmerston ne répondit que par le silence ou par des généralités évasives. Il professait un respect sans bornes pour la liberté absolue de l’Espagne, et en même temps il mandait à M. Bulwer qu’à ses yeux il n’y avait que trois candidats