Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieux William, au lieu de ces figures vivantes, vous ne trouverez ici que la poésie énervée de Métastase.

Ainsi s’endormira de jour en jour cette poésie indolente : la discipline dont elle avait besoin lui a manqué. M. Halm voit bien d’ailleurs qu’il ne s’adresse pas à un auditoire exigeant ; il n’a pas en face de lui des penseurs, des ames viriles, des intelligences sévères. Il est gêné surtout par l’esprit qui règne à Vienne. Il a beau imiter Shakespeare, ce roi puissant de la réalité : la réalité l’inquiète, le mouvement de la vie l’effraie ; il y rencontrera trop de choses qu’il ne pourra librement porter sur la scène. C’est pour cela que sa muse aime les églogues, les fantaisies amoureuses, tout un idéal gracieux qui vous fait oublier le spectacle du monde. Un des écrivains qui l’ont jugé avec le plus d’indulgence, M. Julius Mosen, a dit de lui en termes aimables : « Tous ces drames expriment parfaitement la vie intellectuelle du peuple autrichien ; de toute la réalité on n’a laissé à ce peuple que l’amour, parce que l’amour, comme l’alouette qui chante, ne peut rester sur terre et s’envoie dans l’espace. » Cela est bien dit en effet. Si l’amour chante avec grace dans les drames de M. Halm, la pensée se disperse dans le vide, et le tableau de la vie est perdu pour elle.

Cette effémination d’une intelligence bien douée se manifeste d’une façon bien plus affligeante encore dans la récente tragédie de M. Halm, le Fils du Désert. Ce qu’il y a de particulièrement triste, c’est que ce drame contient pourtant une idée ; car si cette idée, bonne et généreuse en soi, est employée à un mauvais usage, si l’auteur défigure sa propre conception et lui inflige un sens pernicieux, ne voit-on pas là très clairement, et à nu pour ainsi dire, le mal dont il souffre ? Pour moi, au moment où je lis les derniers vers de ce poème, je suis si frappé de cette réflexion, qu’il m’est impossible de ne pas dénoncer l’influence fatale du génie de l’Autriche ; je crois la prendre sur le fait, et il me semble que son crime est flagrant. Qu’a voulu M. Halm ? il a voulu montrer la puissance bienfaisante de l’amour d’une femme. L’amour, le chaste amour, apaisant les passions furieuses et triomphant de la brutalité, telle est la pensée première qui a séduit l’imagination du poète. L’idée est belle, elle est vraie, elle est féconde : voyez maintenant ce qu’elle va devenir ! Au lieu de la brutalité soumise, c’est l’héroïsme énervé que peindra M. Halm. La scène est aux environs de Massilia, à l’époque où les barbares ont envahi les Gaules. Une jeune fille de race grecque, Parthénia, a été prise par les Germains. Le chef, Ingomar, se sent saisi de respect et d’amour à la vue de la belle captive ; pour la suivre, il abandonne son camp ; il ira partout où elle le conés ira ; sans résistance, sans regrets, il quittera ses frères d’armes, il renoncera à sa libre existence et vivra tranquillement dans les murs de Massilia. Le sujet peut très bien être accepté ainsi, et il n’y aurait à blâmer