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non pas vaincu, et ce jeune disciple que la vue de tant de misère ne décourage pas, ce lévite impatient que la poésie sacre au chevet d’un lit de mort, tout cela se groupe dans un contraste harmonieux, et où se révèle l’inspiration élevée qui est naturelle à l’auteur.

Ces trois pièces, Griseldis, l’Alchimiste, Camoens, quelle que soit la faiblesse du résultat, indiquaient un heureux instinct, une disposition d’esprit vraiment féconde. Mais qu’est-ce que l’instinct ? Une promesse, une espérance ; il faut que l’artiste réalise les richesses obscurément contenues dans son ame. Tout ce qu’il a fait jusqu’ici n’est rien de plus qu’une préface, une longue préface à ses œuvres. Il s’est donné tout le temps d’annoncer ce qu’il pourra accomplir un jour ; maintenant nous avons droit d’exiger beaucoup. Il a aspiré dans Griseldis à une élévation morale qui est belle encore, malgré l’élégance maniérée du style. Dans l’Alchimiste, il a soupçonné un drame qui aurait pu enrichir la famille de Faust. Son tableau de Camoens atteste un énergique élan vers tout ce qu’il y a de glorieux et de douloureux dans les amours du poète avec la Muse. Tout cela, je le répète, ce sont, chez ce jeune talent, des velléités honorables ; qu’il agisse enfin, qu’il sorte des limbes, qu’il entre résolument dans la région des choses belles et des couvres vivantes. Certes, si le pays qu’il habite pouvait donner à sa pensée un aliment substantiel, si l’esprit du poète pouvait se mouvoir librement, ses bons instincts se développeraient vite. Puisqu’il aime à construire son drame autour d’une idée, cette idée, il ne la chercherait plus seulement dans l’horizon étroit où il s’enferme. Il ne redouterait pas des inventions plus hautes, il n’aurait pas peur de la philosophie ni de la liberté ; il oserait toucher à toutes les cordes de l’ame, et reproduire dans sa variété le tableau de la vie humaine. La crainte que j’indique ici contient déjà un reproche grave, et je désire que M. Halm ne le mérite pas dans les œuvres qu’il me reste à juger.

Imelda Lambertazzi a paru un an après Camoens, en 1838. Le poète nous transporte encore au moyen-âge, vers la fin du XIIIe siècle, au milieu des discordes et des haines des républiques d’Italie. Deux grandes familles de Bologne sont aux prises, les Geremei et les Lambertazzi. Le neveu de Geremei, Fazio, aime la fille de Lambertazzi, Imelda, autant que Roméo aime Juliette. Rappelez-vous les obstacles qui séparent le fils des Capulets et la fille des Montaigus, vous saurez quelle barrière se dresse entre Fazio et Imelda. Après maintes aventures, après maints coups d’épée, Fazio est tué par un des Lambertazzi, au moment où Imelda, fuyant le château de ses pères, va s’unir à lui dans la chapelle de la forêt. Voilà tout ce drame, froide et inutile copie du drame passionné du maître. Qui donc a donné à M. Halm cette malheureuse inspiration ? Comment a-t-il cru qu’il pourrait lutter avec la grace de Juliette, avec la passion de Roméo ? Au lieu des énergiques peintures du