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Perceval, les épées sortent des fourreaux ; Lancelot du Lac veut venger la reine, et déjà le fer croise le fer. On les sépare pourtant, et le roi Arthur pardonnera à Perceval, s’il consent à se rétracter. Mais comment déclarer qu’il y a une femme au monde aussi aimante, aussi dévouée que Griseldis ! Ce n’est point l’orgueilleux chevalier qui s’abaisserait à ce mensonge. — Eh bien ! dit la reine, j’accepte le jugement de Perceval. Oui, je m’agenouillerai devant la fille du charbonnier, si Perceval me prouve devant tous, et par des signes irrécusables, le dévouement de Griseldis et cette affection dont il est si fier. Les signes demandés par la reine, ce sont les plus cruelles épreuves que puissent subir le courage et la résignation d’un ange. L’engagement est conclu : que Griseldis supporte sans se plaindre d’intolérables douleurs, de sanglantes humiliations, et Ginevra pliera les genoux devant elle.

Elle ne sait pas cependant, la noble femme, comme on joue avec sa destinée. Quoi ! est-il possible que Perceval consente à ce pari barbare ? Qu’y avait-il donc au fond de son amour ? On le voit trop : un immense orgueil. Pour satisfaire cet orgueil sauvage, il a accepté sans scrupules les conditions terribles de cet abominable jeu. L’épreuve commence ; c’est son enfant d’abord qui va être arraché à Griseldis, son bel enfant aux cheveux si blonds, aux yeux si bleus ! Le roi ne veut pas que la noble famille des Perceval soit souillée par l’enfant de Griseldis. Ce n’est pas tout : elle sera chassée du palais de Perceval ; le roi l’ordonne ainsi, et Perceval se soumet à la volonté d’Arthur. Eh bien ! Griseldis partira sans se plaindre : « Vous m’avez prise dans la hutte misérable du charbonnier, ô mon seigneur tant aimé ! vous me renvoyez aujourd’hui, que votre volonté s’accomplisse. » Et la voilà qui part, répudiée, chassée devant tous les vassaux de son époux. Tous frémissent d’indignation ; elle seule, résignée au sacrifice, absout son maître et le vénère comne au jour où elle fut amenée par lui dans son palais. L’épreuve est-elle terminée ? Non. A peine rentrée dans la hutte de son père, son père ne veut pas la reconnaître. Elle est donc seule au monde ; tout lui a été arraché, son père, son mari, son enfant, et cependant il n’y a pas d’amertume au fond de son ame : elle n’accuse pas la dureté de Perceval ; elle est encore prête à se dévouer ; ce cœur, tout déchiré qu’il est, appartient toujours à son maître. Mais qui arrive tout à coup à travers les bryyères ? Quel est ce fugitif ? C’est Perceval. On le poursuit, et le roi Arthur a juré sa mort. Griseldis ne triophe pas ; elle ne se venge pas comme une héroïne vulgaire : elle sauve respecteusement celui qui a brisé sa vie. Certes, le sacrifice est achevé cette fois : c’est assez de douleur, assez de patiente, l’épreuve a parlé haut. Il est bien temps que Griseldis soit ramenée dans son palais ; il est temps que son enfant lui soit rendu, et que tous les vasseaux convoqués saluent l’épouse de Perceval. Elle a bien mérité aussi que l’orgeuilleuse Ginevra