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sympathies pour les plus douces choses de la création, son langage sera harmonieux, son imagination sereine et pacifique. Faites que ce rêveur inoffensif reçoive de son temps et de son pays une éducation sévère, que les idées viriles remplacent les molles rêveries, que sa pensée se fortifie, que son langage s’affermisse : il s’élèvera peu à peu et atteindra à la poésie véritable. Or, si c’est le contraire qui arrive, si cette direction lui manque, si l’atmosphère où il vit est chargée de molles langueurs, les qualités de son talent lui deviendront bientôt fatales ; les sentimens qu’il peindra perdront leur caractère ; cette douceur qui voulait être contenue tournera à l’effémination. Il aura débuté d’une manière charmante ; mais, comme la pente est rapide dans ces sentiers glissans, on verra plus clairement, dans les couvres qui suivront, la mauvaise influence du pays où il a vécu. Une telle étude est difficile, délicate, et certes elle ne manque pas d’intérêt. N’y a-t-il pas là une question morale autant qu’un problème littéraire ? Oui, je veux savoir ce qu’est devenu ce gracieux poète sous la direction qu’il a dû subir ; plein de sympathie pour l’auteur, je prétends ne rien pardonner à ses maîtres, et, si cette influence de l’esprit autrichien a été telle que je la redoute, c’est à elle que la critique a droit de demander un compte sévère, c’est elle qu’il faut condamner sans pitié.

Le poète dont je parle est M. Frédéric Halm. Peut-être sait-on déjà que c’est là un pseudonyme ; comme M. Anastasius Grün, comme M. Lenau, N. Halm a dissimulé son titre et son blason. Son vrai nom est celui d’un diplomate célèbre qu’on ne s’attendait guère à rencontrer dans ces discussions poétiques ; nous avons affaire au fils du président de la diète de Francfort, à M. le comte Joachim-Édouard de Munch-Bellinghausen. Or, il semble que les critiques allemands se soient trop rappelé cette circonstance en examinant le théâtre du jeune poète. Les uns ont parlé de lui avec un enthousiasme aveugle, les autres ont usé à son égard d’une rigueur préméditée. Je voudrais, au milieu de ces jugemens passionnés, éviter les erreurs et étudier simplement un point de morale dont l’intérêt me séduit. Oublions, s’il vous plaît, le fils du représentant de l’Autriche à la diète de Francfort, et ne nous souvenons que du poète. Ce n’est pas M. le comte de Munch-Bellinghausen que nous allons juger, c’est l’auteur de Griseldis et d’Imelda Lambertazzi, M. Frédéric Halm.

Bien que M. Halm soit jeune encore, il a eu le temps de donner sa mesure. Voilà plus de dix années déjà qu’il a débuté, et, depuis ce moment, ses œuvres se sont succédé, sans rapidité et sans paresse, comme il convient à un artiste qui prend sa tâche au sérieux. Les cinq drames qu’il a publiés composent un ensemble assez complet et suffisent parfaitenient pour qu’on puisse apprécier la place de l’auteur et présager l’avenir de son talent.