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principale alimentation des classes pauvres, réussissent parfaitement bien en Algérie. On en peut tirer d’excellens produits de vente : si la pomme de terre, par exemple, est moins abondante qu’en France, elle trouve sur les marchés un débit facile et un bon prix. Quoique ces cultures soient indispensables pour varier la nourriture des ouvriers de la ferme et accélérer l’engraissement du bétail, elles ne constituent, aux yeux des grands spéculateurs, qu’un accessoire. La vraie richesse de la France africaine, ce sont ses prairies naturelles, ses magnifiques herbages qui se développent spontanément dans presque tous les lieux dès que l’on y cesse la culture régulière. Les agriculteurs des plus fertiles contrées de l’Europe ne peuvent assez admirer cette fière végétation qui, dans les terrains bas et froids, s’élève parfois jusqu’à hauteur d’homme. Même dans les conditions les moins favorables, les pentes dégradées des collines, les plateaux sans abri conservent jusqu’aux premières chaleurs un gazon abondant et savoureux. Pendant la saison plus froide, la tiède humidité de l’atmosphère entretient naturellement des pâturages semblables à ces prairies hivernales de la Lombardie qu’on crée à grands frais au moyen d’une savante irrigation. La chaleur dévorante des trois mois de sécheresse peut être conjurée : un arrosage bien distribué accélère même la végétation en proportion de l’ardeur du climat. « J’ai entendu parler, dit M. Moll, d’herbages bien arrosés qu’on avait pu faucher tous les quinze jours pendant l’été, et qui avaient donné ainsi des produits qui sembleraient fabuleux pour la France. » Ces dons naturels de la terre n’empêchent pas la création des prairies artificielles. En Europe, les espaces spécialement réservés pour la récolte des foins ont ordinairement besoin d’être fumés. En Algérie, toutes les prairies, étant d’une végétation assez vive pour être livrées au pâturage, n’exigent aucune dépense, puisque le bétail engraisse les champs où il séjourne. Ajoutons enfin que la fenaison, très difficile aujourd’hui pour nos colons, deviendra au contraire moins dispendieuse en Afrique que dans nos climats capricieux. Moins de précautions y sont nécessaires : la main-d’œuvre y sera beaucoup moins onéreuse, parce que l’époque de ces travaux, au lieu d’être restreinte à quinze jours comme dans le nord, s’étend à plus de deux mois, le temps de la maturité étant déterminé dans un pays constamment chaud par la plus ou moins grande humidité des terrains.

Malgré ces promesses brillantes, les ennemis de notre colonie s’obstinent à dire que les prairies naturelles ou artificielles ne seront jamais d’un bon revenu, et que l’élève du bétail restera sans profit en raison du haut prix des fourrages. La société agricole d’Alger a en effet publié récemment un mémoire pour établir le prix de revient des foins à raison de 8 fr. 40 cent. par.100 kilogrammes, et pour demander que le gouvernement veuille bien faire ses achats à raison de 9 fr. 50 cent,