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heureuses provinces du Brésil. L’Européen qui débarque en Algérie avec son costume étriqué, son hygiène casanière, et surtout avec ses préventions contre le soleil d’Afrique, éprouve assez souvent une sorte de malaise qu’il attribue à une chaleur excessive. Cette illusion est naturelle. Il y a pourtant un témoin irrécusable auquel il faut s’en rapporter sur ce point : c’est le thermomètre. Des observations faites de 1837 à 1841, dans les principales villes du littoral, ont établi que la température flotte entre le 6e et le 35e degré centigrade, ce qui donne en moyenne la chaleur des mois d’été à Paris, c’est-à-dire environ 22 degrés centigrades. Constantine, Mamza, Mascara, Medeah, Milianah, et d’autres villes de l’intérieur, assises sur des plateaux élevés, présentent des conditions atmosphériques plus favorables encore. Ces villes n’appartiennent que d’hier à la civilisation, et déjà leur état sanitaire fait honte aux vieilles cités de l’Europe. La mortalité, dans les hôpitaux civils de Paris, est de 1 sur 10 et 1/3 malades. En 1844, pour 5,599 entrées dans les hôpitaux civils d’Alger, il y a eu 570 décès : la proportion est de 1 sur 9 1/2 ; mais il est à remarquer que la plupart des malades étaient des nouveaux venus non acclimatés ; dans 34 autres localités où des hôpitaux civils ont été ouverts, sur 10,869 Européens admis, on a compté 646 morts, c’est-à-dire 1 sur 17. La situation des hôpitaux militaires s’améliore d’année en année. D’après le dernier relevé, sur 103,862 admissions, il y a eu seulement 4,664 morts. En supposant que quelques-unes des victimes du climat eussent succombé après leur retour en France, le nombre des décès, dans la proportion de 1 sur 20, serait encore moitié moindre qu’à Paris[1]. Lorsque de larges cultures auront assaini les localités suspectes, que les plantations auront multiplié les ombrages, que les lois hygiéniques convenables au pays seront généralement connues et observées, l’Algérie ne tardera pas à acquérir une réputation de salubrité qui sera un attrait pour les travailleurs européens.

A ne considérer que la vertu productive inhérente à la terre, on peut classer l’Algérie au nombre des pays les plus fertiles du globe. Il n’est pas douteux que le Tell, placé dans les mêmes conditions de sol et de climat que les contrées les plus riches du bassin de la Méditerranée, pourrait fonder des cultures comme celles qui font l’orgueil du royaume de Valence, de la Lombardie, de la Campanie et de l’Égypte. L’humidité

  1. A partir de 1840, la mortalité n’a cessé de décroître dans l’armée, quoique l’effectif ait été toujours augmenté. En 1840, avec 65,489 hommes sous les drapeaux, en y comprenant les auxiliaires indigènes, on eut 9,596 décès dans les hôpitaux ; en 1841, avec 74,140 individus, il n’y eut plus que 7,795 morts ; — en 1842, pour un effectif de 79,753 hommes, 5,588 ; — en 1843, effectif de 81,520, et mortalité 4,692 ; — en 1844, effectif de 106,286 hommes, Français ou indigènes, mortalité 4,664. — Il résulte de ces chiffres que la mortalité, qui était en 1840 du 7e de l’effectif, n’a plus emporté que le 22e cinq ans après. De tels résultats sont bien honorables pour l’administration militaire, bien consolans pour le pays !