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une fusion presque complète de leurs opinions respectives, de sorte qu’à proprement parler, ceux-ci n’avaient plus droit à leurs noms primitifs et qu’il n’existait plus guère dans la réalité ni whigs ni tories. Pour peu que le mouvement qui se prononce maintenant aux États-Unis doive encore continuer, il semble que nous soyons appelés à nous soyons appelés à voir, de l’autre côté de l’Atlantique, une révolution pareille à celle que nous contemplons de l’autre côté de la Manche. Peut-être même, à bien réfléchir, serait-ce là comme un trait universel qui viendrait aujourd’hui caractériser le développement des états libres, peut-être est-ce une loi constitutionnelle de leur nature que cette métamorphose qui efface les vieilles distinctions politiques sous l’empire croissant des intérêts communs nés dans un milieu nouveau. Il s’opère ainsi une conciliation favorable à tous les progrès ; le meilleur moyen de débattre avec fruit les questions d’avenir, c’est assurément de pacifier l’arène où l’on débattait les questions du passé.

On n’ignore pas qu’à son berceau même, la république américaine se trouva partagée entre deux opinions qui, dévouées l’une et l’autre à la même forme de gouvernement, ne s’entendaient pourtant pas sur l’organisation générale de la société. Les grands propriétaires anglicans du sud et les petits commerçans ou les pionniers puritains du nord et de l’ouest pouvaient bien rencontrer des avantages équivalens dans les institutions républicaines ; mais ils ne pouvaient s’accommoder des mêmes institutions civiles. Nécessairement il y avait la face à face une aristocratie et une démocratie toutes prêtes. De cette différence morale sortit donc une différence politique aussitôt que la fédération fut établie, quand on dut régler les rapports mutuels des états locaux avec le pouvoir central qu’il fallait bien reconnaître ; habitués de grandes positions, désireux de grandes influences, comprenant mieux aussi la nature et l’étendue les relations qu’on aurait avec le dehors, les aristocrates voulaient fortifier le lien fédéral au profit d’une autorité suprême ; les démocrates, au contraire, plus jaloux de leur indépendance particulière, plus effrayés de tout ce qui était l’éclat et l’autorité, renfermés d’ailleurs dans un cercle plus étroit, réclamaient pour chaque état le plus grand isolement possible et le plus absolu self-governement. On voit que c’est en Amérique tout le contraire de la Suisse, ou les démocrates prêchent l’unité helvétique, tandis que les patriciens de Schwitz et d’Uri défendent par tous les moyens la souveraineté cantonale. Les deux partis étaient représentés, dans le cabinet même de George Washington, par les deux hommes les plus remarquables qu’ils aient peut-être produits, Hamilton et Jefferson ; depuis, ils n’ont pas cessé de lutter, se prenant corps à corps sur tous les terrains, à mesure que les événemens amenaient des intérêts nouveaux, et que le développement du commerce et de la population faisait des situations nouvelles. Les démocrates se sont intitulés les seuls républicains, criant contre leurs adversaires à la monarchie et au monocratisme. Ceux-ci, prenant à leur usage le beau nom de whigs, ont accusé les démocrates, les loco-focos, de vouloir rompre l’union. Ça été des deux parts erreur ou exagération calculée ; mais, quoi qu’il en soit, les démocrates servis par la pente irrésistible des idées, par l’adjonction continuelle d’élémens tout neufs, ont gagné, presque au lendemain de la mort de Washington, une incontestable supériorité : ce sont eux qui ont mené toutes les grandes affaires d’Amérique, et les whigs sans cesse entraînés par cette active énergie, ont été réduits au rôle souvent plus honorable qu’efficace de simples modérateurs. Ils