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jusqu’à Madeleine, il n’a pas écrit une page qui ne respire la passion la plus sincère pour la vie de famille, la connaissance complète du bonheur qu’elle donne et des devoirs dont elle se compose. Je ne crois pas que M. Sandeau ait choisi la vie de famille comme un thème à développer, je ne crois pas qu’il se soit proposé de réfuter, dans chacun de ses livres, les doctrines professées depuis quinze ans dans plus d’un livre célèbre et justement admiré. Je pense qu’il a exprimé librement ses convictions, et qu’il, n’a pas eu besoin de contradicteurs pour rencontrer l’éloquence. D’ailleurs aucun de ses livres n’est empreint du caractère dogmatique. Les personnages crées par sa fantaisie concourent merveilleusement à l’expression de la pensée que nous signalons ; mais aucun ne porte écrit sur le front le principe qu’il représente. Quoi qu’il en soit, involontaire ou prémédité, le caractère général des livres de M. Sandeau ne saurait être contesté Or, cette pensée dominante laisse dans l’ame du lecteur une impression salutaire. M Sandeau peint la passion avec franchise, avec liberté, sans crainte, sans pruderie, comme s’il lui attribuait le gouvernement de la société, et cependant, entraîné par la pente inexorable de sa pensée, il donne toujours gain de cause au devoir. Quoique je ne songe pas à confondre la loi morale et la loi poétique, je ne puis m’empêcher de signaler cette coïncidence et d’en relever toute la valeur. Bien que l’une de ces lois régisse la volonté, tandis que la seconde régit l’imagination, c’est toujours un avantager pour les créations de la fantaisie de satisfaire aux prescriptions de la loi morale, ou du moins de les rappeler.

Ai-je besoin de dire ce que je pense du style de M. Sandeau ? Il est généralement pur, châtié, transparents ; il dit nettement ce qu’il veut dire. L’idée se laisse toujours apercevoir sous l’image. Les mots obéissent à la pensée et ne la gênent jamais dans son allure. L’analogie, cette loi souveraine du style, est constamment respectée dans l’emploi des images. On voit que M. Sandeau prend l’art d’écrire au sérieux, et se contente difficilement. Aussi je crois que ses livres ne sont pas menacés d’un oubli prochain, car ils offrent des pensées justes clairement exprimées, des sentimens vrais analysés avec finesse. Que faut-il de plus pour assurer la durée des œuvres littéraires ?


GUSTAVE PLANCHE.