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sincérité, d’ironie et d’émotion, donne au lecteur un plaisir singulier, difficile à caractériser, dont Mackenzie et Sterne semblent pourtant offrir le plus parfait modèle. La passion contenue du docteur Savenay, la grossièreté naïve de M. Riquemont, la jalousie d’Adélaïde Herbeau, l’impertinence de Célestin Herbeau, indigne héritier du nom, composent, avec la mélancolie de Louise Riquemont, un tableau que ne désavoueraient pas les maîtres les plus habiles. Sans doute il est permis de reprocher à l’impertinence de Célestin Herbeau une verve surabondante qui ne sait pas toujours s’arrêter à temps ; mais cette tache légère ne détruit pas l’effet général de la composition. Il y a dans ce roman des scènes d’un comique vrai, qui amènent le rire sur les lèvres, pleines de naturel et d’entraînement, et qui font place aux émotions les plus attendrissantes. Le rire et l’attendrissement se succèdent avec tant de bonheur, avec tant de vraisemblance, que jamais l’un ne fait tort à l’autre.

Mademoiselle de la Seiglière est probablement le plus achevé de tous les récits que M. Sandeau a composes depuis l’époque de ses débuts. En subissant de légères transformations ; ce livre deviendrait une véritable comédie, et cependant nous sommes loin de conseiller à M. Sandeau de changer le cadre de sa pensée. En général, ces tentatives ne sont pas heureuses. La pensée qui s’est produite pour la première fois sous la forme du récit perd, en se montrant sous la forme dramatique, la meilleure partie de sa jeunesse et de sa fraîcheur. Toutefois il m’est impossible de ne pas appeler l’attention sur la verve comique, sur la gaieté communicative qui éclate dans plusieurs chapitres de ce roman. Le personnage du marquis de la Seiglière est une création qui ferait honneur aux esprits les plus exercés ; le vieux Stamply est composé avec une franchise, une vérité que je ne me lasse pas d’admirer. La figure de M de la Seiglière est empreinte de mélancolie touchante. Mme de Vaubert exprime très bien le type de la ruse et de la sécheresse. Bernard Stamply, placé entre son amour pour Mlle de la Seiglière et la conscience de ses droits, intéresse constamment par la sincérité de son langage. J’ai dit que ce roman me paraît le plus achevé de tous les récits composés par M. Sandeau. Ce n’est pas que le sujet soit plus heureusement choisi que celui de Marianna ou de Madeleine, mais dans aucun de ses livres l’auteur ne s’est montré aussi maître de lui-même ; dans le développement d’aucune de ses pensées, il n’a révélé une puissance aussi calme, une volonté aussi prévoyante. Jamais il n’a manié sa fantaisie avec une avarice plus intelligente ; Il sait où il va, et il marche vers le but prévu du pas qui lui plaît, hâtant ou ralentissant son allure selon les besoins du récit. Il a tiré de son sujet tout le parti qu’on pouvait souhaiter ; il l’a fécondé sans l’épuiser. La manière dont Mme de Vaubert pétrit l’ame de Stamply comme une cire obéissante, les conversations