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sans arrière-pensée ; elle le voit se débattre sous l’étreinte du désespoir, et ne trouve pas même la force de s’attendrir. Elle est morte à la passion et comprend à peine les tortures qu’elle inflige à sa victime.

Pour donner à son récit plus de vie et de mouvement. M. Sandeau a placé près des trois personnages que je viens de caractériser trois figures pleines de naturel et de vérité : Noémi, M. de Belnave et M. Valton. Noémi s’enferme avec résignation, sans impatience. sans regret, dans le cercle du devoir et de la famille. Elle aime sincèrement son mari, M. Valton, sans le prendre précisément pour le premier homme du monde : elle s’avoue bien que le bonheur aurait pu s’offrir à elle sous une forme plus séduisante mais malgré cet aveu, elle croit posséder le bonheur et ne veut pas tenter les régions inconnues. Elle fait pour sauver sa sœur, pour la tirer de l’abîme, tout ce que peut inspirer le dévouement le plus absolu. Elle s’humilie aux pieds de George pour ramener Marianna à la paix, au bonheur, à la famille. Le personnage de Noémi ne se dément pas un seul instant et demeure fidèle jusqu’au bout à la pensé qu’il doit exprimer. C’est une figure pleine de grace et de grandeur. Quant à M. de Belnave, il présente le type parfait de la générosité. Il assiste avec courage, avec résignation, à la ruine de toutes ses espérances ; il n’essaie pas de ramener un cœur perdu sans retour ; il pardonne sans lâcheté à la femme qu’il aimait sincèrement, mais qu’il n’a pas su retenir. M. Valton est un personnage accessoire dessiné avec une remarquable netteté. Ainsi, dans ce roman, tout concourt à l’effet moral que l’auteur s’est proposé. Rien d’inutile, rien d’oiseux, tous les incidens, tous les épisodes, naissent fatalement du développement des caractères. C’est là sans doute un grand bonheur, un mérite rare, que la critique doit constater avec plaisir. Un tel livre suffit à établir la renommée d’un écrivain ; aussi, depuis la publication de Marianna, M. Sandeau a pris son rang et l’a gardé.

Fernand et Madeleine, méritent les mêmes éloges que Marianna. Ces deux récits conçus de moindres proportions, offrent la même élégance, la même clarté, le même intérêt. Dans Fernand, dans Madeleine comme dans Marianna, la pensée engendre l’action sans jamais se montrer à découvert. C’est le même artifice, le même bonheur ou plutôt le même savoir, la même habileté. L’histoire de Fernand est celle de bien des hommes qui croiront, en lisant le roman de M. Sandeau, lire le récit de leur vie. Fernand réussit à séduire la femme de son meilleur ami ; pendant plusieurs années, ce bonheur coupable demeure ignoré du mari ; mais un jour vient où Fernand se lasse de sa maîtresse et vent reprendre possession de lui-même. Il s’éloigne avec l’espérance que son départ assure sa liberté. Il croit que sa maîtresse devinera sans peine le motif de son absence, et qu’elle acceptera l’abandon sans lutte, sans colère. Il se trompe. Elle devine bien, en effet, que