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nom et le talent de M. Guizot peuvent donner cours à ces barbarismes ; il est utile de prendre ses précautions. Passe encore pour ces deux mots, agissemens, dont M. Billault est le père, et subalternéité, qui a pour inventeur M. de Lamartine : il y a peu d’apparence cependant que l’harmonie douteuse de ces mots invite beaucoup à les employer ; mais pourquoi attaquer, comme le fait M. Wey, les phrases de M. Muret de Bord ? A quoi bon ? Doit-on croire qu’elles sont d’un dangereux exemple, ou plutôt n’y aurait-il pas dans cette critique quelque ingénieuse flatterie, quelque compliment délicat pour l’honorable député ?

M. Wey n’est guère plus indulgent en général pour les morts que pour les vivans. On trouve dans son livre quelques jugemens littéraires qu’il est difficile d’approuver. Racine est jugé fort sévèrement. L’auteur cite les strophes sur Port-Royal, et n’a pas de peine à en démontrer l’extrême faiblesse. Il était peut-être inutile de s’acharner ainsi sur des pièces de collège composées à dix-huit ans. M. Wey n’épargne guère plus les ouvrages que Racine composa dans la maturité de son talent : il cite, par exemple, la troisième scène de Phèdre, en la comparant avec la scène correspondante d’Euripide. Il va sans dire qu’il donne la préférence au poète grec, c’est la mode aujourd’hui ; mais il aurait pu appuyer son opinion sur de meilleures raisons. Voici une de ses critiques :

« Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !
Que ne puis-je, au travers d’une noble poussière.
Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière !

Les images du poète français sont moins riches et moins complètes, il faut en faire l’aveu. Ce qu’il n’a pas senti, c’est que Phèdre, ayant rêvé à toutes ces campagnes, finit par invoquer, au fond de ces solitudes des monts, des bois et des plaines, Diane, la divinité chaste que l’on implore contre Vénus, circonstance qui donne à la dernière parole de la reine une intention marquée. Phèdre, brûlée par la passion, demande l’ombre, les prairies, une source d’eau pour se désaltérer. Ces préoccupations sont naturelles ; mais elle ne songe ni à des lieux couverts de poussière, ni à parler d’une noble poussière, parce qu’elle ne trouve pas que la poussière des chemins soit noble. » (Tome Ier, page 103.)

J’avoue que je n’ai pu lire ce passage sans étonnement. Ainsi donc, selon M. Francis Wey, la Phèdre de Racine veut simplement se