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facile. Du reste, je tenais aussi à voir cette forêt dont je ne m’expliquais pas la structure. Je réveillai l’esclave qui était de très mauvaise humeur, et qui demanda à rester avec la femme du reis. J’avais l’idée dès-lors d’emmener le reis ; une simple réflexion et l’expérience acquise des mœurs du pays me prouvèrent que, dans cette famille honorable, l’innocence de la pauvre Zeynëby ne courait aucun danger.

Ayant pris les dispositions nécessaires et averti le reis qui me fit venir un ànier intelligent, je me dirigeai vers Héliopolis, laissant à gauche le canal d’Adrien, creusé jadis du Nil à la mer Rouge, et dont le lit desséché devait plus tard tracer notre route au milieu des dunes de sable.

Tous les environs de Choubrah sont admirablement cultivés. Après un bois de sycomores qui s’étend autour des haras, on laisse à gauche une foule de jardins où l’oranger se cultive dans l’intervalle des dattiers plantés en quinconces ; puis, en traversant une branche du Kalisch ou canal du Caire, on gagne en peu de temps la lisière du désert, qui commence sur la limite des inondations du Nil. Là s’arrête le damier fertile des plaines, si soigneusement arrosées par les rigoles qui coulent des saquiès ou puits à roues ; — là commence, avec l’impression de la tristesse et de la mort qui ont vaincu la nature elle-même, cet étrange faubourg de constructions sépulcrales qui ne s’arrête qu’au Mokatam, et qu’on appelle de ce côté la Vallée des Califes. C’est là que Teyloun et Bibars, Saladin et Maleck-Adel, et mille autres héros de l’islam, reposent non dans de simples tombes, mais dans de vastes palais brillans encore d’arabesques et de dorures, entremêlés de vastes mosquées. Il semble que les spectres, habitans de ces vastes demeures, aient voulu encore des lieux de prière et d’assemblée — qui, si l’on en croit la tradition, se peuplent à certains jours d’une sorte de fantasmagorie historique.

En nous éloignant de cette triste cité dont l’aspect extérietir produit l’efl’et d’un brillant quartier du Caire, nous avions gagné la levée d’Héliopolis, construite jadis pur mettre cette ville à l’abri des plus hautes inondations. Toute la plaine qu’on aperçoit au-delà est bosselée de petites collines formées d’amas de décombres. Ce sont principalement les ruines d’un village qui recouvrent là les restes perdus des constructions primitives. Rien n’est resté debout ; pas une pierre antique ne s’élève au-dessus du sol, excepté l’obélisque, autour duquel on a planté un vaste jardin.

L’obélisque forme le centre de quatre allées d’ébéniers qui divisent le jardin ; des abeilles sauvages ont établi leurs alvéoles dans les anfractuosités de l’une des faces qui, comme on sait, est dégradée. Le jardinier, habitué aux visites des voyageurs, m’offrit des fleurs et des fruits. Je pus m’asseoir et songer un instant aux splendeurs décrites par Strabon, aux trois autres obélisques du temple du Soleil, dont deux