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fier comme un empereur, et tenait, selon l'usage, un mouchoir sur sa bouche. Je n'osai le regarder trop attentivement, sachant que les Orientaux craignent en ce cas le mauvais œil ; mais je pris garde à tous les détails du cortège, que je n'avais jamais pu si bien distinguer au Caire, où ces processions des mutahil diffèrent à peine de celles des mariages.

Il n'y avait pas à celle-là de bouffons nus, simulant des combats avec des lances et des boucliers ; mais quelques Nubiens, montés sur des échasses, se poursuivaient avec de longs bâtons : ceci était pour attirer la foule ; ensuite les musiciens ouvrirent la marche ; puis les enfans, vêtus de leurs plus beaux costumes et guidés par cinq à six faquirs ou santons, qui chantaient des moals religieux ; puis l'enfant à cheval entouré de ses parens, et enfin les femmes de la famille, au milieu desquelles marchaient les danseuses non voilées, qui, à chaque halte, recommençaient leurs trépignemens voluptueux. On n'avait oublié ni les porteurs de cassolettes parfumées, ni les enfans qui secouent les kumkum, flacons d'eau de rose dont on asperge les spectateurs ; mais le personnage le plus important du cortège était sans nul doute le barbier, tenant en main l'instrument mystérieux — dont le pauvre enfant devait plus tard faire l'épreuve, — tandis que son aide agitait au bout d'une lance une sorte d'enseigne chargée des attributs de son métier. Devant le mutahil était un de ses camarades portant, attachée à son col, la tablette à écrire, décorée par le maître d'école de chefs-d'œuvre calligraphiques. Derrière le cheval, une femme jetait continuellement du sel pour conjurer les mauvais esprits. La marche était fermée par les femmes gagées, qui servent de pleureuses aux enlerremens et qui accompagnent les cérémonies de mariage et de circoncision avec le même olouloulou ! dont la tradition se perd dans la plus haute antiquité.

Pendant que le cortège parcourait les rues peu nombreuses du petit village de Choubrah, j'étais resté avec le grand père du mutahil, ayant eu toutes les peines du monde à empêcher l'esclave de suivre les autres femmes. Il avait fallu employer le mafisch ! tout-puissant chez les Égyptiens pour lui interdire ce qu'elle regardait comme un devoir de politesse et de religion. Les nègres préparaient des tables et décoraient la salle de feuillages. — Pendant ce temps, je cherchais à tirer du vieillard quelques éclairs de souvenirs en faisant résonner à ses oreilles, avec le peu que je savais d'arabe, les noms glorieux de Kléber et de Menou. Il ne se souvenait que du colonel Barthélémy, l'ancien chef de la police du Caire, qui a laissé de grands souvenirs dans le peuple à cause de sa grande taille et du magnifique costume qu'il portait. — Barthélémy a inspiré des chants d'amour dont les femmes n'ont pas seules gardé la mémoire :