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flété le drapeau de la république. Les légitimistes en pèlerinage vers Jérusalem choisissent, il est vrai, le pavillon de Sardaigne. Cela, par exemple, n’a pas d’inconvénient.

II. — UNE FÊTE DE FAMILLE.


Nous partons du port de Boulac ; le palais d’unbey mamelouck, devenu aujourd’hui l’école polytechnique, la mosquée blanche qui l’avoisine, les étalages des potiers qui exposent sur la grève ces bardaques de terre poreuse fabriquées à Thèbes, qu’apporte la navigation du Haut-Nil, les chantiers de construction qui bordent encore assez loin la rive droite du fleuve, tout cela disparaît en quelques minutes. Nous courons une bordée vers une île d’alluvion située entre Boulac et Emhabeh, dont la rive sablonneuse reçoit bientôt le choc de notre proue ; les deux voiles latines de la cange frissonnent sans prendre le vent : — Battal ! battal ! s’écrie le raïs, c’est-à-dire : Mauvais ! mauvais ! Il s’agissait probablement du vent. En effet, la vague rougeàtre, frisée par un souffle contraire, nous jetait au visage son écume, et le remous prenait des teintes ardoisées en peignant les reflets du ciel.

Les hommes descendent à terre pour dégager la cange et la retourner. Alors commence un de ces chants dont les matelots égyptiens accompagnent toutes leurs manœuvres et qui ont invariablement pour refrain éleison ! Pendant que cinq à six gaillards, dépouillés en un instant de leur tunique bleue et qui semblent des statues de bronze florentin, s’évertuent à ce travail, les jambes plongées dans la vase, le rets, assis comme un pacha sur l’avant, fume son narghilé d’un air indifférent. Un quart d’heure après, nous revenons vers Boulac, à demi penchés sur la lame avec la pointe des vergues trempant dans l’eau.

Nous avions gagné à peine deux cents pas sur le cours du fleuve : il fallut retourner la barque, prise cette fois dans les roseaux, pour aller toucher de nouveau à l’île de sable : Battal ! battal ! disait toujours le reïs de temps en temps.

Je reconnaissais à ma droite les jardins des villas riantes qui bordent l’allée de Choubrah ; les sycomores monstrueux qui la forment retentissaient de l’aigre caquetage des corneilles, qu’entrecoupait parfois le cri sinistre des milans.

Du reste, aucun lotus, aucun ibis, pas un trait de la couleur locale d’autrefois ; seulement çà et là de grands buffles plongés dans l’eau et des coqs de Pharaon, sortes de petits faisans aux plumes dorées, voltigeant au-dessus des bois d’orangers et de bananiers des jardins.

J’oubliais l’obélisque d’Héliopolis, qui marque de son doigt de pierre la limite voisine du désert de Syrie et que je regrettais de n’avoir encore