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personnages nombreux et d’intérêts multipliés pour remplir son cadre toujours trop vaste, et aussi, — car il faut tout dire, — l’inintelligence relative de l’auditoire pour lequel il travaille. Nous sommes habitués, — nous l’étions du moins, — à suivre avec intérêt, avec passion quelquefois, le développement d’une idée, d’un caractère, d’un fait particulier, assez contens de nous associer, dans toutes ses phases, à ce puissant et curieux travail d’analyse. En Angleterre, la scène est soumise à des conditions matérielles d’un autre ordre : il faut, pour des spectateurs autrement actifs et d’appétit plus solide, un régime intellectuel analogue à leur régime physique. Fi des ragoûts à la française, où les délicatesses de l’assaisonnement tiennent lieu de substance et de réalité ! On exige à Londres une chère plus solide, des jouissances moins idéales. La comédie s’y fait comme le pudding, plus substantielle que subtile, avec force ingrédiens de haute saveur, entassés pêle-mêle et bourrés dans le premier moule venu. Elle ne peut se passer d’une certaine agitation purement extérieure, d’un mouvement qui amuse l’œil plutôt que l’esprit, et qui ne ressemble en rien à l’invisible activité de ces chefs-d’œuvre où deux personnages, immobiles en face l’un de l’autre, forcent l’esprit à passer, en quelques minutes, par mille et mille hypothèses, mille et mille combinaisons diverses. Sachons apprécier cette différence et en tenir compte aux écrivains dramatiques de l’Angleterre, sans omettre néanmoins de leur rappeler qu’avec une plus ferme volonté d’élever leur public à eux, au lieu de descendre jusqu’à lui, on pourrait graduellement, sinon faire violence au génie national, du moins ressusciter peut-être et même perfectionner la comédie anglaise qu’on applaudissait jadis : la comédie de Wycherley, de Congrève, de Farquhar, de Sheridan. Et ce qui le prouve, c’est que le vaudeville français, passablement travesti, à vrai dire, est admis, compris et applaudi depuis plus de vingt ans sur les théâtres de Londres. Qu’il y fraie le chemin à la haute comédie, votre à ce genre mixte par lequel nous l’avons si mal à propos remplacée, et l’émancipation du public anglais, son aptitude à comprendre et goûter les productions d’un art évidemment supérieur, seront suffisamment démontrées. Paraisse alors un homme de génie, ou même un écrivain de talent, et il ne risquera point d’être méconnu.

Pour en revenir à M. Douglas Jerrold, ce qui fait, à nos yeux, le principal mérite de sa pièce, assez vulgaire d’ailleurs et totalement dénuée d’intérêt, c’est l’originalité de quelques caractères épisodiques. Ce professeur Truffles, dont nous n’avons pu donner qu’une idée sommaire, est certainement un personnage nouveau : mélange singulier d’impudence et de bassesse, exprimant en style guindé, officiel, pompeux, les penchans les plus effrontés, les calculs les plus cyniques. Il a pour