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kilogrammes d’argent et 248,000 kilogrammes d’or, représentant ensemble, d’après le tarif de la monnaie française, 1,070 millions de francs, dont 216 en argent et 854 en or.

Pour montrer par un nouvel exemple quelle est l’instabilité de l’industrie des mines de métaux précieux dans les pays même où elle se développe et grandit, je citerai ici un extrait d’un mémoire de M. Domeyko.

« La découverte des mines de Chañarcillo ne date que de 1831. Un pauvre montagnard nommé Godoy, étant à chasser les guanacos, s’était reposé à l’ombre d’un énorme bloc de rocher qui sortait de l’affleurement du filon de la Descubridora. Frappé de la couleur et d’un certain aspect métallique de la partie saillante du rocher, il commença à la gratter avec son couteau, et, voyant qu’elle se laissait couper comme du fromage (suivant la manière dont il s’exprimait), il emporta un morceau de ce rocher à Copiapo, où il fut reconnu pour du plata-plomo, c’est-à-dire pour de l’argent corné (chlorure d’argent). Il offrit la moitié de sa mine, qui, depuis ce temps, prit le nom de la Descubridora, à don Miguel Gallo, un des plus vieux mineurs de cette province, à qui le sort n’avait jamais été prospère dans sa jeunesse. D’après l’arrangement qui eut lieu, Gallo devait fournir l’argent nécessaire pour l’exploitation, et le profit devait être partagé entre lui et Godoy. Le hasard voulut qu’on tombât sur la partie la plus riche du filon, et on commença, dès les premiers jours de l’exploitation, à extraire des valeurs considérables ; mais Godoy, comme tous ceux qui découvrent les mines, n’eut pas la patience d’attendre. Séduit par l’espérance d’en découvrir d’autres meilleures, il vendit la moitié de la mine qui lui appartenait pour 14,000 piastres, dissipa son argent et mourut pauvre.

« La nouvelle de cette découverte attira bientôt à Chañarcillo une foule de mineurs de tous côtés. Les premiers auxquels le sort se montra aussi favorable qu’à Godoy furent deux frères, nommés Peralta-Bolados, propriétaires d’un petit rancho (chaumière) dans la vallée de Copiapo, et d’un troupeau d’ânes qui leur servaient à porter du bois à la ville ou aux usines, avec quoi ils pourvoyaient à leurs premières nécessités. Les deux frères trouvèrent un fameux bloc (bolon] de 70 à 80 quintaux de minerai excessivement riche. L’extraction, le transport et le traitement de cette masse de minerai étaient tellement simples et faciles, que ces pauvres gens, quoique entièrement dépourvus de connaissances nécessaires et de capitaux, parvinrent, dans moins de deux ans, à en extraire pour plus de 700,000 piastres d’argent. Enflés de leur prospérité, ils ne pensèrent qu’à en jouir, et, pendant qu’ils dissipaient leur richesse à Copiapo, qui n’était à cette époque qu’un village pauvre et mal peuplé, leur mine se trouva tout d’un coup épuisée, et quelques mois après on a vu ces mêmes Peralta-Bolados plus pauvres qu’ils