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de l’annexion future du Canada. Plus on voit l’Angleterre augmenter ses troupes dans cette colonie, plus elle cherche à fortifier ses positions militaires et son ascendant moral, ici par des bastions, là par des concessions et des ménagemens, plus loin par des menaces et des supplices, mieux on se rend compte de ses craintes, de ses prévisions sinistres. Remarquez, par exemple, l’ostentation avec laquelle notre Anglais énumère les forces de son pays : — sept compagnies d’artillerie, onze régimens d’infanterie, trois escadrons d’excellente cavalerie provinciale, et jusqu’à une compagnie nègre de cent hommes, qui battent l’estrade sur les frontières. — Ce n’est pourtant pas avec sept ou huit mille soldats réguliers qu’on pourrait défendre cette vaste contrée. On évalue bien les milices à cent quarante mille hommes, mais tout le monde sait à quoi s’en tenir sur la réalité de ces ressources; et d’ailleurs qui oserait affirmer que les milices canadiennes seront toujours disposées à verser leur sang pour la vieille Angleterre, si la jeune Amérique se présentait aux frontières, et réclamait, au nom de la fraternité des peuples, l’union de deux pays que la Providence a placés sous le même ciel, auxquels la civilisation donne les mêmes instincts, et que mille intérêts communs appelleraient à se ranger sous le même drapeau, si une lutte de principes éclatait jamais entre les républiques et les monarchies?

Pour conjurer ces désastres prévus, le charme proposé par l’auteur d’Hochelaga est le même dont sir Robert Peel entretenait naguère le parlement anglais. Il voudrait, nous l’avons dit, que l’Angleterre réunît en corps de nation n’ayant qu’un gouvernement, une capitale, un budget, un parlement, toutes ses colonies nord-américaines; et pour amener ce grand résultat, prenant une carte de ces colonies, il trace un gigantesque chemin de fer, qui, parti d’Halifax, sur les côtes d’Acadie, va d’abord aboutir en face de Québec, sur la rive de Saint-Laurent. De Québec, il se prolonge sur Montréal, Kingston, Toronto, et même Sandwich. Une autre ligne, également partie d’Halifax, aboutirait sur la côte, vis-à-vis l’extrémité méridionale de Cap-Breton, et presque vis-à-vis le Bras-d’Or et Sydney, la principale cité de l’île. Par là ces colonies s’élèveraient du rang de provinces secondaires à celui d’un état puissant, ayant d’ores et déjà plus de deux millions d’habitans, un territoire immense, d’excellentes voies de communication intérieure, des ressources inépuisables, et sur lequel la métropole étendrait son égide aussi long-temps qu’il aurait besoin d’une protection militaire. Dans cette utopie, vous devinez que la centralisation s’obtient sans secousses, sans mesures tyranniques : l’assemblée législative fonctionne en toute liberté; le pouvoir exécutif est dans des mains constamment pures et fortes; le patronage administratif s’exerce sans abus, indistinctement au profit de tous les indigènes, et à l’exclusion des étrangers, c’est-à-dire des Anglais. La justice est parfaitement indépendante; on distribue avec