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qu’on ne devait pas se fier aux perfides promesses des plus doux automnes. Tous les vaisseaux qui s’attardèrent jusqu’au 28 novembre sur les eaux du Saint-Laurent furent à moitié détruits par les glaces, tout à coup survenues, et perdirent la plus grande partie de leurs équipages.

Toronto, — qui naguère s’appelait Little-York, — est le centre de l’influence anglaise dans les Canadas. Aucune cité du continent américain n’a fait d’aussi rapides progrès, ni qui promettent un avenir plus brillant. Elle n’existait pas, comme cité municipale, avant 1834; à l’heure présente, elle a vingt mille habitans. L’industrie seule, et non pas la rage des spéculations, a produit ce merveilleux résultat. Les campagnes environnantes sont d’une rare fertilité; des chemins de fer déjà étudiés les traverseront sous peu d’années; le gaz étincelle dans les rues de Toronto; d’énormes aqueducs alimentent tous les quartiers. C’est là qu’est l’université anglicane, riche et puissant établissement doté de terres considérables, et dont la réputation s’étend au loin. Les règles intérieures et les allocations considérables que les gouverneurs réclament de la législature canadienne, pour maintenir ce foyer de doctrines essentiellement favorables à la domination britannique, sont fréquemment le texte de virulentes discussions au sein de la chambre d’assemblée[1]. Toronto est aussi le siège d’un évêché qui comprend tout le Canada supérieur, c’est-à-dire la portion du pays où la religion réformée a une prédominance marquée sur tous les autres cultes.

Anglais de race pure, protestant sincère, notre touriste a porté une critique sérieuse sur l’établissement officiel de la secte anglicane dans cette colonie éloignée. Il le trouve insuffisant et mesquin. Deux évêques dont les revenus sont modiques, surtout par rapport à l’étendue énorme de leurs diocèses, soixante-cinq desservans dans le Canada oriental (Québec), quatre-vingt-onze dans le Canada occidental (Toronto), la plupart sans maison curiale (glehe-house], et avec des appointemens annuels de 60 liv. sterl. (1,500 fr.), alors que les visites paroissiales leur imposent des déplacemens fort coûteux, lui paraissent ne pas répondre aux nécessités chaque jour croissantes d’un pays où il serait si essentiel pour la métropole d’établir son ascendant moral, le seul en définitive qui puisse lui conserver quelque temps encore cette colonie lointaine. La part du clergé protestant avait été réservée par la prévoyance

  1. On peut consulter, sur les tendances irréligieuses du parlement canadien, un petit volume qui vient de paraître dans la Bibliothèque coloniale, publiée par le libraire Murray. L’auteur, ministre du culte anglican, se plaint que les ennemis de l’église remportent ordinairement dans toutes les discussions de la chambre d’assemblée, et il ajoute : Ainsi vont les choses, bien que la majorité y soit composée de membres de notre église. Quelques-uns sont malheureusement ce qu’on appelle des low-churchmen; d’autres sont négligens et tièdes dans leur attachement à notre culte, et un petit nombre peut-être n’ont d’anglican, voire de chrétien, que le nom sans les croyances. Philip Musgrave, or Memoirs of a Missionary in Canada, chap. XXI.