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rassuraient et allaient se livrer au sommeil, lorsque, cinq minutes avant minuit, le globe de métal qui termine la flèche du clocher de Saint-Patrick, jusque-là invisible dans l’obscurité, refléta tout à coup quelques lueurs indécises. Une petite maison de bois avait pris feu, à l’extérieur des murs, dans le faubourg Saint-Jean, sur la limite des quartiers incendiés le mois précédent. À minuit, tous les beffrois, toutes les églises de Québec, sonnaient déjà le tocsin ; mais le vent soufflait avec une telle force, que les progrès du feu ne purent être domptés avant huit heures du matin, et dans cet intervalle de temps, malgré les efforts de toute la ville, et bien qu’on eût fait sauter des rues entières pour interrompre toute communication entre un faubourg et l’autre, les ravages furent immenses. La population consternée croyait à un crime. Il fallut remonter, par voie d’enquête, à l’origine de ce désastre annoncé d’avance, et l’on constata qu’il était dû à l’imprudence d’une misérable domestique, à des cendres mal éteintes et jetées sur un tas de fumier, bref aux causes les plus triviales et les plus fortuites.

En allant de Québec à Montréal dans un comfortable bateau à vapeur, on longe les districts français ; on passe devant Saint-Trois, Sainte-Anne, les Trois-Rivières, le port Saint-François, autant de villes ou bourgs catholiques dont les habitans parlent le même langage que les héros de Dancourt et de Lesage, avec l’accent de nos provinces normandes. Les maisons sont pauvres, les fermes assez grossièrement cultivées. Le Canadien français ne demande au travail que le pain de chaque jour, aimant à vivre où il est né, à mourir où il a vécu. Ses enfans se partagent le domaine paternel, et, comme l’égalité veut qu’ils aient tous leur quote-part de la rive fluviale, les héritages ont quelquefois un demi-mille de profondeur sur quelques pieds de large. La saison d’hiver se passe en réunions joyeuses ; on chante, on danse auprès de l’étuve allumée. Le costume n’a pas changé depuis l’arrivée des premiers colons ; c’est la même veste de drap gris à larges basques, le bonnet de tricot rouge ou bleu, la ceinture de couleur tranchante serrée autour de la taille, les culottes arrêtées au genou. Chaque dimanche, ils assistent pieusement aux offices. Bien peu savent lire ou écrire, bien peu se rendent compte de leur condition nationale ; mais avec leur politesse native, leurs besoins bornés, leur foi simple et solide, leurs vieilles chansons qu’ils se transmettent encore telles qu’on les entendait il y a deux cents ans au bord de la Loire, on trouverait difficilement des gens plus heureux.

Au-dessus de Montréal, la navigation fait halte ; les rapides de Lachine ne permettent pas de remonter plus avant le grand fleuve. Située sur une île qui a trente railles de long sur dix milles de large, et dont le Mont-Royal, qui lui donne son nom, est la seule éminence, cette ville est devenue le siège du gouvernement colonial. L’état-major militaire, les fonctionnaires supérieurs, y résident maintenant, et le