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regards avides sur les forêts du Canada, les bords tempérés de l’Orégon, les riches terres de la Californie, C’est de là que partiront les premiers vœux de guerre et d’envahissement. — Le sud renferme une population mixte : les blancs qui commandent, les nègres en esclavage. Ces deux races coexistent en nombre à peu près égal, et, si jusqu’à présent les Anglo-Saxons sont restés les plus forts, le mouvement des dernières années semble indiquer que la population africaine prendra tôt ou tard le dessus. Quoi qu’en aient pu dire les rhéteurs qui défendent en Europe la cause de l’esclavage, les êtres dégradés, avilis, vicieux, dont il flétrit l’existence, ne sont pas tellement déchus, qu’ils n’aspirent à la liberté. De nombreuses révoltes attestent leurs souffrances, et la crainte seule les plie au joug qu’on fait peser sur eux. Quant au citoyen libre des états du sud, il est orgueilleux et susceptible; il dédaigne le travail, comme souillé par des mains serviles; il aime le faste et la dépense; il s’indigne contre toute atteinte portée à ses droits d’homme libre. Nulle part on ne rencontre le républicanisme avec des formes aussi despotiques. Qu’un abolitioniste, ennemi public, ose se montrer dans une bourgade de la Virginie ou de l’Alabama, et c’est beaucoup si l’on se contente de le chasser honteusement, c’est beaucoup s’il échappe au fouet, aux traitemens les plus indignes, car sa vie est en péril, et les autorités elles-mêmes le livreraient aux mains d’une populace irritée, si celle-ci voulait se donner le plaisir de quelque auto-da-fé au bois vert. La violence de ces habitans du sud va jusqu’à menacer l’existence fédérale de la république, pour peu que leurs intérêts soient en péril. Plutôt que d’accepter des tarifs nuisibles à leur commerce, on a vu les citoyens de la Caroline prêts à déclarer la guerre au congrès, et, si on essayait de fermer cette plaie de l’esclavage qui dénature encore la politique américaine, il est facile de prévoir que l’ouest et le nord devraient avoir recours à la force pour contraindre les états du sud à subir la loi d’émancipation.

Cependant les doctrines abolitionistes font chaque jour des progrès, le nombre de représentans hostiles à l’esclavage augmente sans cesse; l’opinion se lasse des justes reproches par lesquels l’Europe monarchique se dédommage de l’admiration que lui inspire la jeune république rivale; et la susceptibilité nationale, l’esprit de charité religieuse, les conseils d’une sage politique, concourent aussi à l’affranchissement des noirs. Il faut donc prévoir une guerre intestine où les planteurs du sud apporteront une indomptable énergie, inspirée par le sentiment de la plus impérieuse nécessité; et comme, dès le début d’un pareil conflit, ils sentiront le besoin de concentrer tous leurs moyens de défense, de se donner une organisation plus militaire et plus compacte, cette situation nouvelle doit les livrer, — toujours selon l’écrivain anglais, — à quelque heureux soldat que la victoire leur donnera pour maître.