l’Amérique ne compte encore que 11 habitans par mille carré, tandis que les Iles Britanniques en ont 300. Ainsi l’on peut prévoir qu’en 1940 les États-Unis auront deux cent soixante-dix millions d’habitans, c’est-à-dire trente millions de plus que l’Europe actuelle, en lui donnant pour limite la chaîne des monts Ourals... »
Le même calcul, restreint à un demi-siècle, nous assure qu’en 1893 la fédération américaine aura 177,000,000 de citoyens, et alors est-il à supposer qu’un état, — royaume ou république, — comptant à peine autant de sujets que l’Afghanistan on le royaume des Deux-Siciles, puisse subsister dans le voisinage d’un empire plus puissant que ne le seraient aujourd’hui les Iles Britanniques (sans leurs colonies), la Confédération Germanique, la Pologne, le Danemark, la Suisse, la Hollande, la Belgique et la Grèce, si quelque bouleversement politique les amalgamait dans la même unité, les rangeait sous le même sceptre? Restent donc, pour assurer l’indépendance du Canada, les chances de cette dissolution que les tories en général, — et, en particulier, l’auteur d’Hochelaga, — se complaisent à prédire, quand ils ont constaté le menaçant avenir de la confédération américaine; dissolution inévitable, selon eux ; « dissolution nécessaire pour la paix et la liberté du monde, » assure pieusement notre voyageur.
Il en esquisse ainsi le programme.
Les germes de trois nations distinctes se reconnaissent dans la population hétérogène des États-Unis. Vous avez en première ligne l’habitant du nord, éclairé, moral, prudent, industrieux, amoureux de la paix qui favorise ses aptitudes commerciales : aux enfans de cette région sévère, l’Amérique doit une grande partie de sa richesse et de sa pacifique grandeur. — Vient ensuite l’ouest lointain, l’ouest turbulent, avec son climat qui stimule et abrège la vie, ses terres fertiles où toute semence prospère, mûrit et se dessèche en un clin d’œil, ses plaines ouvertes à l’aventurier d’Europe, ses déserts que dix années métamorphosent en riches provinces. Ici l’homme arrive de tous les points de l’horizon : laboureur nomade, cultivateur errant, qui n’aspire à aucun établissement durable, et ne tolère volontiers aucun joug. Nulle part l’indépendance n’est aussi complète, nulle part la démocratie ne restera aussi long-temps florissante, car nulle part l’homme n’aura devant lui, pour autant d’années, des terres nouvelles à exploiter, des villes à fonder, des solitudes à remplir. Le rôle de l’ouest, dans la balance des pouvoirs politiques, a été jusqu’ici d’arbitrer, de résoudre les différends du nord et du sud ; mais sa population s’accroît avec une telle rapidité, que, d’ici à quelques années, le sud et le nord réunis ne pourront plus lutter contre ses intérêts, représentés au congrès par une imposante majorité. Soit dit en passant, c’est dans l’ouest que l’esprit de conquête est le plus décidé. Ce sont ses colons voyageurs qui portent leurs