l’apprit Mansour, des conjurations contre les afrites ou mauvais esprits. Il paraît que la profanation des oignons avait révolté ces derniers, et qu’il y en avait deux spécialement hostiles à chacun de nous, dont l’un s’appelait le Vert, et l’autre le Doré.
Voyant que le mal était surtout dans l’imagination, je laissai faire les deux femmes, qui en amenèrent enfin une autre très vieille. C’était une santone renommée. Elle apportait un réchaud qu’elle posa au milieu de la chambre, et où elle fit brûler une pierre qui me sembla être de l’alun. Cette cuisine avait pour objet de contrarier beaucoup les afrites, — que les femmes voyaient clairement dans la fumée, et qui demandaient grace. Mais il fallait extirper tout-à-fait le mal ; on fit lever l’esclave, et elle se pencha sur la fumée, ce qui provoqua une toux très forte ; pendant ce temps, la vieille, lui frappait le dos, et toutes chantaient d’une voix traînante des prières et des imprécations arabes.
Mansour, en qualité de chrétien cophte, était choqué de toutes ces pratiques ; mais, si la maladie provenait d’une cause morale, quel mal y avait-il à laisser agir un traitement analogue ? Le fait est que, dès le lendemain, il y eut un mieux évident, et la guérison s’ensuivit.
L’esclave ne voulut plus se séparer des deux voisines qu’elle avait appelées, et continuait à se faire servir par elles. L’une s’appelair Cartoum, et l’autre Zabetta. Je ne voyais pas la nécessité d’avoir tant de monde dans la maison, et je me gardais bien de leur offrir des gages ; mais elle leur faisait des présens de ses propres effets, et, comme c’étaient ceux qu’Abd-el-Kerim lui avait laissés, il n’y avait rien à dire, toutefois il fallut bien les remplacer par d’autres, — et en venir à l’acquisition tant souhaitée du habbarah et du yalek.
La vie orientale nous joue de ces tours, tout semble d’abord simple, peu coûteux, facile. Bientôt cela se complique de nécessités, d’usages ; de fantaisies, et l’on se voit entraîné à une existence pachalesque, qui, jointe au désordre et à l’infidélité des comptes, épuise les bourses les mieux garnies. J’avais voulu m’initier quelque temps à la vie intime de I’Égypte ; mais peu à peu je voyais tarir les ressources futures de mon voyage. « Ma pauvre enfant, dis-je à l’esclave en lui faisant expliquer la situation, si tu veux rester au Caire, tu es libre. »
Je m’attendais à une explosion de reconnaissance.
— Libre ! dit-elle, et que voulez-vous que je fasse ? Libre ! mais où irais-je ? Revendez-moi plutôt à Abd-el-Kerim !
— Mais, ma chère, un Européen ne vend pas une femme, recevoir un tel argent, ce serait honteux.
— Eh bien ! dit-elle en pleurant, est-ce que je puis gagner ma vie, moi ? Est-ce que je sais faire quelque chose ?
— Ne peux-tu pas te mettre au service d’une dame de ta religion ?
— Moi, servante ? Jamais Revendez-moi : je serai achetée par un