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correspondaient à de vastes grottes souterraines ; les eaux entraient par des conduits étroits, puis ressortaient plus loin, formant d’immenses cataractes et remuant l’air continuellement avec un bruit effroyable.

Le consul, homme positif, n’accueillait ces traditions qu’avec un sourire ; il avait profité de notre halte dans le kiosque pour faire disposer sur une table les provisions apportées dans sa voiture, et les bostangis d’Ibrahim-Pacha venaient nous offrir en outre des fleurs et des fruits rares, propres a compléter nos sensations asiatiques. — En Afrique, on rêve l’Inde comme en Europe on rêve l’Afrique ; l’idéal rayonne toujours au-delà de notre horizon actuel. Pour moi, je questionnais encore avec avidité notre bon cheik et je lui faisais raconter tous les récits fabuleux de ses pères. Je croyais avec lui au roi Saurid plus fermement qu’au Chéops des Grecs, à leur Chéphen et à leur Mycérinus. – Et qu’a-t-on trouvé, lui disais-je, dans les pyramides lorsqu’on les ouvrit la première fois sous les sultans arabes ? – On trouva, dit-il, les statues et les talismans que le roi Surid avait établis pour la garde de chacune. Le garde de la pyramide orientale était une idole d’écaille noir et blanche, assise sur un trône d’or, et tenant une lance qu’on ne pouvait regarder sans mourir. L’esprit attaché à cette idole était une femme belle et rieuse, qui apparaît encore de notre temps et fait perdre l’esprit à ceux qui la rencontrent. Le garde de la pyramide occidentale était une idole de pierre rouge, armée aussi d’une lance, ayant sur la tête un serpent entortillé, l’esprit qui le servait avait la forme d’un vieillard nubien, portant un panier sur -la tête et dans ses mains un encensoir. Quant à la troisième pyramide, elle avait pour garde une petite idole de basalte, avec le socle de même, qui attirait à elle tous ceux qui la regardaient sans qu’ils pussent s’en détacher ; l’esprit apparaît encore sous la forme d’un jeune homme sans barbe et nu. – Quant aux autres pyramides de Saccarah, chacune aussi a son spectre : l’un est un vieillard basané et noirâtre, avec la barbe courte ; l’autre est une jeune femme noire, avec un enfant noir, qui, lorsqu’on la regarde, montre de longues dents blanches et des yeux blancs. Un autre a la tête d’un lion avec des cornes ; un autre a l’air d’un berger vêtu de noir tenant un bâton ; un autre enfin apparaît sous la forme d’un religieux qui sort de la mer et qui se mire dans ses eaux. Il est dangereux de rencontrer ces fantômes à l’heure de midi.

Ainsi, dis-je, l’Orient a les spectres du jour comme nous avons ceux de la nuit. – C’est qu’en effet, observa le consul, tout le monde doit dormir à midi dans ces contrées, et ce bon cheik nous fait des contes propres à appeler le sommeil. — Mais, m’écriai-je, tout cela est-il plus extraordinaire que tant de choses naturelles qu’il nous est impossible d’expliquer ? Puisque nous croyons bien à la création, aux anges, au déluge, et que nous ne pouvons douter de la marche des astres, pourquoi