à droite le port du vieux Caire, à gauche les bâtimens du Mekkias ou Nilomètre, entremêlés de minarets et de coupoles, qui forment la pointe de l’île.
Cette dernière n’est pas seulement une délicieuse résidence princière, elle est devenue aussi, grace aux soins d’Ibrahim, le jardin des plantes du Caire. On peut penser que c’est justement l’inverse du nôtre ; au lieu de concentrer la chaleur par des serres, il faudrait créer là des pluies, des froids et des brouillards artificiels pour conserver les plantes de notre Europe. Le fait est que, de tous nos arbres, on n’a pu élever encore qu’un pauvre petit chêne qui ne donne pas même du gland. Ibrahim a été plus heureux dans la culture des plantes de l’Inde. C’est une tout autre végétation que celle de l’Égypte, et qui se montre frileuse déjà dans cette latitude. Nous nous promenâmes avec ravissement sous l’ombrage des tamarins et des baobabs ; des cocotiers à la tige élancée secouaient çà et là leur feuillage découpé comme la fougère ; mais à travers mille végétations étranges j’ai distingué comme infiniment gracieuses des allées de bambous formant rideaux comme nos peupliers ; — une petite rivière serpentait parmi les gazons, où des paons et des flamans roses brillaient au milieu d’une foule d’oiseaux privés. De temps en temps nous nous reposions à l’ombre d’une espèce de saule pleureur, dont le tronc élevé, droit comme un mât, répand tout à l’entour ses nappes de feuillage ; on croit être ainsi dans une tente de soie verte inondée d’une douce lumière.
Nous nous arrachâmes avec peine à.cet horizon, magique, à cette fraîcheur, à ces senteurs pénétrantes d’une autre partie du monde, où il semblait que nous fussions transportés par miracle ; — mais, en marchant au nord de l’île, nous ne tardâmes pas à rencontrer toute une nature différente, destinée sans doute à compléter la gamme des végétations tropicales. Au milieu d’un bois composé de ces arbres à fleurs qui semblent des bouquets gigantesques par des chemins étroits cachés sous des voûtes de lianes, on arrive à une sorte de labyrinthe qui gravit des rochers factices surmontés d’un belvédère. — Entre les pierres, au bord des sentiers, sur votre tête, à vos pieds, se tordent, s’enlacent, se hérissent et grimacent les plus étranges reptiles du monde végétal. On n’est pas sans inquiétude en mettant le pied dans ces repaires de serpens et d’hydres endormis, parmi ces végétations presque vivantes dont quelques-unes parodient les membres humains et rappellent la monstrueuse conformation des dieux-polypes de l’Inde.
Arrivé au sommet, je fus frappé d’admiration en apercevant dans tout leur développement, au-dessus de Giseh qui borde l’autre côté du fleuve, les trois pyramides nettement découpées dans l’azur du ciel. Je ne les avais jamais si bien vues, et la transparence de l’air permettait, bien qu’à une distance de trois lieues, d’en distinguer tous les détails.