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et des matières premières à bon marché ; au commerce, des débouchés étendus et la suprématie politique qui les lui assurait ; à l’intérêt maritime, de grandes entreprises et des occasions d’acquérir de la gloire. Des exigences aussi contraires ne pouvaient être conciliées que par un gouvernement modérateur et respecté dont la force leur imposât à toutes d’équitables transactions. Il ne suffisait donc pas au parti conservateur d’opposer une résistance opiniâtre à toutes les innovations ; sa cause était perdue, s’il ne parvenait à relever le pouvoir de l’état, à fortifier, ou plutôt à reconstituer son principe, et dans cette tentative désespérée il avait à combattre toutes les ambitions et toutes les passions politiques du pays. Quoique diamétralement opposées dans leurs vues et dans leurs espérances, l’aristocratie et la démocratie n’en poursuivaient pas moins en commun l’affaiblissement du pouvoir central qui les comprimait également toutes deux et ; arrêtait leurs empiètemens. Les vaincre de vive force dans les batailles rangées de la place publique était impossible ; quand, au lieu de peser les raisons, on compte les mécontens, les factions sont maîtresses des délibérations, et elles ne prêtent jamais un concours complaisant à leur désarmement. Les conservateurs n’avaient rien à attendre de l’action des lois, ils ne pouvaient réprimer les usurpations des partis que par des moyens indirects, en entretenant le respect du passé et en étendant l’autorité des mœurs.

La religion n’était pas une simple dépendance du gouvernement que l’état employait à son usage, comme un moyen d’administration fort commode elle lui créait un droit sacré à l’obéissance des citoyens ; au besoin elle sanctionnait ses actes par la volonté des dieux, et, même lorsque la foi se fut retirée du monde païen, le peuple y voyait encore la cause première de sa grandeur et l’héritage des croyances de ses ancêtres. La politique conservatrice n’avait pas ainsi de plus impérieux devoirs que de la protéger contre toutes les attaques et de lui assurer la considération publique. Si entraînés par les passions du moment ou séduits par ce mirage dont l’imagination des novateurs embellit toujours l’horizon, les adultes échappaient à l’influence du parti conservateur, il lui fallait en appeler du présent à l’avenir, et s’emparer par l’éducation de l’esprit des enfans, leur inculquer des mœurs simples et rigides, le culte des souvenirs, et des opinions appropriées à la constitution du pays. Enfin l’habitude n’est pas seulement cette tendance, en quelque sorte mécanique, à faire et à croire le lendemain tout ce qu’on a fait et qu’on a cru la veille ; c’est aussi le respect de la tradition pour elle-même, et la modération dans les sentimens qui empêche de céder aux mouvemens désordonnés de l’imagination. Aussi, convaincus sans doute par les inconsistances des petites républiques grecques et les révolutions qui en étaient la conséquence, les anciens écrivains politiques s’accordent à regarder l’habitude comme un des ressorts les plus