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On se tient dans les chambres inférieures, revêtues de faïence ou de marbre et rafraîchies par des jets d’eau ; on peut encore passer sa journée dans les bains, au milieu de ce brouillard tiède qui remplit de vastes enceintes dont la coupole percée de trous ressemble à un ciel étoilé. Ces bains sont la plupart de véritables monumens qui serviraient très bien de mosquées ou d’églises ; l’architecture en est byzantine, et les bains grecs en ont probablement fourni les premiers modèles ; il y a entre les colonnes sur lesquelles s’appuie la voûte circulaire de petits cabinets de marbre, où une fontaine élégante est consacrée aux ablutions froides. Vous pouvez tour à tour vous isoler ou vous mêler à la foule qui n’a rien de l’aspect maladif de nos réunions de baigneurs, et se compose généralement d’hommes sains et de belle race, drapés, à la manière antique, d’une longue étoffe de lin. Les formes se dessinent vaguement à travers la brume laiteuse que traversent les blancs rayons de la voûte, et l’on peut se croire dans un paradis peuplé d’ombres heureuses. Seulement le purgatoire vous attend dans les salles voisines. Là sont les bassins d’eau bouillante où bien des voyageurs se sont exagéré le supplice de la cuisson ; là se précipitent sur vous ces terribles estafiers aux mains, armées de gants de crin, qui détachent de votre peau de longs rouleaux moléculaires dont l’épaisseur vous effraie et vous fait craindre d’être usé graduellement comme une vaisselle trop écurée. On peut d’ailleurs se soustraire à ces cérémonies et se contenter du bien-être que procure l’atmosphère humide de la grande salle du bain. Par un effet singulier, cette chaleur artificielle délasse de l’autre ; le feu terrestre de Phta combat les ardeurs trop vives du céleste Horus. Faut-il- parler encore des délices du massage et du repos charmant que l’on goûte sur ces lits disposés autour d’une haute galerie à balustres qui domine la salle d’entrée des bains ? Le café, les sorbets, le narguilé, interrompent là ou préparent ce léger sommeil de la méridienne si cher aux peuples du Levant.

Du reste, le vent du midi ne souffle pas continuellement pendant l’époque du khamsin ; il s’interrompt souvent des semaines entières, et nous laisse littéralement respirer. Alors la ville reprend son aspect animé, la foule se répand sur les places et dans les jardins ; l’allée de Choubra se remplit de promeneurs ; les musulmanes voilées vont s’asseoir dans les kiosques, au bord des fontaines ou sur les tombes entremêlées d’ombrages, où elles rêvent tout le jour entourées d’enfans joyeux, et se font même apporter leurs repas. — Les femmes d’Orient ont deux grands moyens d’échapper à la solitude des harems, c’est le cimetière, où elles ont toujours quelque être chéri à pleurer ; et le bain public, — où la coutume oblige leur mari de les laisser aller une fois par semaine au moins.

Ce détail, que j’ignorais, a été pour moi la source de quelques chagrins