genre trop exclusivement personnel, que l’auteur de la Chronique rimée de Jean Chouan mériterait des éloges. M. de Gobineau a fui avec raison le danger de ces confidences intimes dont le moindre défaut est aujourd’hui une nauséabonde vulgarité ; il ne se met pas lui-même en scène complaisamment, et il y a en cela du tact moral autant que du tact littéraire. La donnée qu’il choisit n’est pas même tout-à-fait imaginaire : ses héros n’ont point cette idéale figure des héros d’invention. Les élémens de son récit, il les a puisés à une source abondante, dans l’histoire révolutionnaire ; la Chronique de Jean Chouan est un épisode des luttes sanglantes de la Vendée. Certes, dans cette époque de conflagration générale, dans cette mêlée énergique et puissante, où tous les sentimens, toutes les croyances et tous les caractères s’exaltent, il y a des ressources pour une grande et glorieuse poésie ; ce sera la poésie de la foi militante, du dévouement, du sacrifice, qui se rencontrent dans tous les camps et se produisent au nom des principes les plus contraires. C’est ce qui a dû attirer l’auteur. La bonne intention reconnue, le mérite de la pensée en elle-même accepté, je ferai un reproche principal à M. de Gobineau, c’est de ne s’être point formé une idée exacte d’un tel sujet. Il n’a point fait une chronique, et c’eût été même un pur jeu d’esprit de l’essayer, de vouloir rimer les détails de l’histoire ; il n’a pas fait un poème dans le sens élevé de ce mot, sans doute pour rester fidèle à son titre. Jean Chouan est devenu un récit vulgaire, une peinture sans force et sans largeur de quelques courses de chouans contre les bleus ans les campagnes du Maine et de l’Anjou, du pillage de quelques villes envahies tour à tour par les deux partis. Le Côté idéal de cette lutte grandiose a disparu ici. Cette guerre de géans dont parlait Napoléon n’est plus qu’une guerre de buissons de quelques paysans grossiers. Par un bien singulier oubli, l’auteur s’interdit dans son ouvrage tout ce qui pourrait lui donner de l’intérêt, de la variété, de l’éclat ; il néglige la poésie des lieux où se livrent ces combats acharnés, la poésie des coutumes anciennes qui vont s’effacer, de tout ce passé qui résiste aux idées nouvelles grandissantes. En lisant ces pages souvent sèches et ternes, je me souvenais involontairement de quelques pièces sur les guerres bretonnes recueillies par M. de La Villemarqué dans ses Chants populaires. Là on sent battre vraiment le cœur de la Bretagne ; là revit cet austère pays dans sa rustique simplicité, dans son naïf amour pour Dieu, pour le roi, pour son indépendance, et dans sa résistance contre les bleus. M. de Gobineau aurait pu s’inspirer avec fruit de ces chants avant de rimer la chronique sur Jean Chouan ; elle eût été tout autre, je pense.
La poésie apparaît sous une multitude d’aspects. Ici, l’un veut lui donner un tour épique, chanter des faits mémorables, fixer le souvenir des luttes publiques ; là, un autre, comme M. Ortolan dans les Enfantines, semble borner son horizon ; il le restreint au foyer domestique. M. Ortolan a fait l’épopée de l’enfance en la prenant à sa première heure, a ce berceau dont il dit :
Le berceau ! c’est le point de départ du voyage,
Le nid du rossignol, la source du ruisseau,
L’esquif que le zéphyr détache du rivage :
Où mènera l’esquif ? où volera l’oiseau ?
Et où ira aussi l’enfant ? Ce qui arrivera, c’est le secret du destin. L’avenir