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dans l’insignifiante mêlée des poètes de hasard. Certes, ce n’est point là le sentiment que peut éprouver la critique. À ceux qui laissent voir une réelle aptitude au milieu des hésitations du début, elle doit mieux qu’un éloge banal ; elle doit des avertissemens, ce qui est une manière de se montrer sympathique. Et la rigueur pour les faiblesses qui s’exaltent, pour les impuissantes orgueilleuses, pour les imitations parasites, n’est-ce point aussi de la sympathie pour la poésie ? n’est-ce point un devoir de replacer sans cesse la muse au-dessus des atteintes vulgaires comme une beauté invisible à laquelle seules peuvent aspirer les bonnes et généreuses natures ? La critique qui n’abdique point sa liberté devant les génies reconnus se ferait-elle la complice des illusions d’un jeune amour-propre qui fatigue la renommée de ses désirs ? Assurément, son premier but n’est pas de monnayer la gloire afin d’en avoir pour toutes les vanités enfantines.

Ces pensées reviennent inévitablement à l’esprit lorsqu’on s’arrête à cette multitude de livres de poésies qui viennent au jour et tentent la périlleuse épreuve d’un jugement publie. Tandis que les grandes œuvres qui pourraient exciter une admiration salutaire et relever le niveau de l’art diminuent, ceux-là se multiplient ; ce sont comme des étoiles du ciel poétique, plus nombreuses que les soleils. Les uns paraissent et s’effacent à la même heure, et on n’a pas même le temps de leur adresser ce mélancolique adieu qu’on dit aux enfans qui ne sont pas nés viables ; les autres retiennent un instant de plus, soit qu’ils résument plus particulièrement les défauts de ce tiers-état de la poésie, soit, par une rare fortune, qu’on y découvre quelques germes heureux qui pourraient s’agrandir. De toutes façon, c’est là que se peut exercer cette sympathie dont je parlais, — sympathie sévère, sans complaisance, et au besoin rigoureuse, mais rachetant sa rigueur par une inépuisable attention. Au nombre des mérites de la critique qui lui seront comptés sans doute, et que la poésie ne soupçonne guère, on ne met pas le dévouement qu’il faut pour passer à se former des espérances toujours trompées, à poursuivre une inspiration introuvable, le temps qui suffirait à lire une page d’Homère ou de Dante. Il est plus d’un jeune poète qui a tort —certainement de médire du critique ; il a en lui un lecteur, — ce qui est souvent une perspective à laquelle il ne pouvait s’attendre. Et par quoi est payé le critique ? Par quelque sincère promesse qu’il surprendra et dont il se garant, par quelque lueur véritable qui finira par briller à ses yeux après de trop infructueuses recherches.

Il se mêle ainsi toujours un peu d’espoir à la défiance de celui qui juge. C’est ce qui le soutient et le pousse sans cesse à des expériences nouvelles au risque de déceptions chaque fois plus cuisantes, à recommencer son voyage à travers ce monde inexploré, jusqu’à ce qu’il en puisse rapporter un rameau vigoureux et odorant. — M. Foussier peut être compté aujourd’hui au nombre des plus récens débutans poétiques. Il a publié un livre, — Italiam, — tout imprégné des chaudes senteurs de l’Italie. Le jeune auteur n’a pas touché vainement cette terre féconde, fière encore aujourd’hui d’avoir deux fois illustré le monde, de posséder deux antiquités, l’antiquité de Virgile et d’Horace et l’antiquité de Dante et de Pétrarque. C’est au soleil de Naples que se sont échauffés ses vers. Hélas ! il est difficile de mettre son inspiration à la hauteur de la gloire de l’Italie aussi bien qu’au niveau de ses malheurs ; ce n’est pas une petite entreprise que de