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d’une cupidité excessive. Heureusement, nous étions sous la protection du sultan des Maldives. Ils entouraient, ils flattaient notre capitaine, qui avait mis son plus beau turban, et représentait ainsi son noble souverain avec une dignité vraiment diplomatique. Peu satisfait de leur accueil, je m’éloignai au plus vite, cherchant l’ombre et les arbres. Je m’arrêtai sur une petite éminence : j’avais autour de moi des tombeaux, sous mes pieds une verdure épaisse ; çà et là paraissaient quelques petites cases et des plantations de cocotiers. Je voyais des hommes monter et descendre le long de ces hautes colonnes avec l’agilité de l’écureuil, tenant suspendus à leurs mains les tuyaux de bambou dans lesquels ils recueillent le vin de palme. Par-delà ces cabanes et ces arbres, j’apercevais la mer couverte de pirogues courbées sous la voile et louvoyant vers la passe comme un troupeau qui regagne le bercail.

Ce fut pour moi le dernier tableau de cette nature calme et monotone des îles indiennes, de ce mouvement uniforme et invariable qui berce la vie de ces insulaires et la rend semblable à un long sommeil. Nous appareillâmes le lendemain au lever du soleil ; le cinquième jour, on signala les montagnes de Travancore, et bientôt nous étions en rade d’Aleppee sur la côte Malabare. Une rivière, ou plutôt un bras de mer s’étend de ce comptoir jusqu’à la vieille cité portugaise de Cochin, où nous espérions trouver secours et passage à bord de quelque navire européen. Une pirogue indienne nous y conduisit en quelques heures. La ville de Cochin a perdu son ancienne splendeur ; elle contient encore un peuple nombreux, mais on reconnaîtrait difficilement dans cette race abâtardie les descendans des compagnons de Gama et de tous ces hardis Portugais qui vinrent à leur suite. Cependant nous ne fûmes point trompés dans notre attente. Si les habitans de Cochin ne possèdent plus de vaisseaux, ils en construisent pour d’autres peuples. Le bois de teck qu’ils emploient est presque incorruptible, il fait le principal mérite de leurs constructions et soutient encore chez eux cette seule et dernière industrie. À l’époque de notre arrivée, il y avait plusieurs grands navires sur les chantiers, et l’on venait de lancer à la mer le brick Gregorio en destination pour l’île Maurice. Ce brick fut mon libérateur ; deux mois plus tard, il laissait tomber l’ancre devant la ville du Port-Louis et me rendait à ma patrie adoptive.


R. DROUIN.