rempli d’ambre et de bois odorant auquel ils ont mis le feu, l’accompagnant de leurs prières ou le poursuivant de leurs imprécations jusqu’à ce qu’il ait entièrement disparu.
Cependant le jour de notre délivrance approchait : l’ordre avait été donné par le sultan de tenir prêt à prendre la mer le plus grand de ses pros, de tout disposer pour une expédition à la côte Malabare, et nous devions trouver passage à bord de cette embarcation ; telle était aussi sa volonté. Chaque année, il fait armer pour la même destination un de ses plus grands bateaux, et il le charge des productions de son misérable empire : des nattes, des noix de coco, du poisson boucané, et des sacs contenant de petites coquilles univalves, qu’on nomme coris, très recherchées sur le continent, où on les accepte comme monnaie de bas aloi, ayant un cours légal et régulier. En échange, le bâtiment rapporte des tissus de soie et de coton, du sucre, et principalement du riz. On choisit pour le départ le temps où règne la mousson du sud-ouest, vers le mois d’avril, et le retour n’a lieu qu’après le renversement de la mousson, alors que les vents passent au nord-est, vers le mois d’octobre.
L’oracle vint sans doute une dernière fois nous contrarier, car, au moment où nous allions monter à bord, nous reçûmes contre-ordre, et il nous fallut encore compter quelques longues journées d’attente ; puis, un soir, on nous fit embarquer précipitamment, et aussitôt le bateau gagna le large. Nous étions à peine à deux lieues de terre comme le soleil se couchait. Le capitaine prit la barre du gouvernail, fit carguer la voile, tourna la proue vers l’occident, et tout son équipage, composé d’une vingtaine d’hommes, récita à haute voix et très dévotement une prière qui dura un quart d’heure. Le soleil disparut, la voile remonta, et l’on fit route. Pour moi, au moment de dire un éternel adieu à ces peuplades presque inconnues, je ne me rappelais pas sans charme leurs mœurs singulières, leur existence pauvre et isolée, qui les force à tourner invariablement dans un petit cercle d’habitudes matérielles. Tous les jours, de grands navires d’Europe cinglent sous ces rochers ; debout sur sa grève, l’habitant des Maldives les considère avec indifférence, comme s’ils étaient en quelque sorte un produit de la mer, et il ne s’inquiète ni d’où ils viennent ni où ils vont. De son côté, l’Européen regarde à peine ces petites îles, et quand on lui a dit qu’elles ne donnent que des cocos, qu’elles sont peuplées d’hommes ignorans et à moitié sauvages, il passe sans plus s’en occuper. Pourtant il nous semble qu’il n’y a point de coin de terre si perdu, si misérable, qui ne puisse être rattaché par quelque lien d’intérêt commun à la grande famille humaine. Si des bâtimens d’un fort tonnage ne peuvent s’approcher sans danger de ces plages basses et pénétrer dans ces bassins hérissés de hauts-fonds, de petites barques, des péniches légères, pourraient facilement entrer dans les passes et porter