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il donne une raison et un sens à ces singulières inventions que l’on a prises long-temps pour de pures bouffonneries. Si, même dans les grands états, la guerre apporte souvent de graves perturbations dans la fortune publique et dans le bonheur des familles, elle est dans les petites républiques une cause toute-puissante de révolutions. Les revers y détachent le peuple d’institutions impuissantes à protéger la tranquillité, et les triomphes assurent au vainqueur une popularité qui détruit l’égalité sociale et menace la liberté elle-même. Toujours à la veille de faire un appel au dévouement énergique de chaque citoyen, et tremblant même devant sa propre gloire, le gouvernement n’ose plus alors réprimer avec son énergie habituelle les empiétemens et les violences des partis. Aussi ; dans son attachement au statu quo politique, Aristophane voulut-il prouver, dans trois comédies, la nécessité de terminer au plus vite la guerre du Péloponèse. Dans les Acharniens, il met la richesse et le bonheur des villes qui jouissent de la paix en regard des privations et des anxiétés des autres, et engage le peuple à choisir en connaissance de cause. — L’enseignement de la Paix est plus direct encore : les dieux eux-mêmes s’y cachent pour ne pas voir les horreurs de la guerre, et, quand la Paix revient sur la terre, le principal personnage de la pièce se marie avec l’Abondance. — La Lysistrata ne s’adresse plus au désir du bien-être matériel, mais aux sentimens de la famille ; le poète y montre toutes les résolutions violentes que l’abandon de leurs maris retenus à la guerre peut inspirer aux femmes ; et conclut à la paix au nom du bonheur et de la sécurité domestique. — A force de cajoleries démocratiques, l’ancien corroyeur Cléon était devenu un personnage considérable ; dans les Chevaliers, Aristophane le traîne en personne sur la scène, avec son gros ventre et son odeur de cuir ; il ridiculise impitoyablement ses idées et ses intentions, démasque le factieux dans le démagogue, et le peuple, éclairé enfin par tant de sottise et de méchanceté, le renvoie honteusement de son service. La ville bâtie en l’air de la pièce des Oiseaux est une plaisante représentation de la république ; on reconnaît aux ailés de ses habitans le besoin d’agitation et la légèreté du peuple athénien, et cette vive satire de son inconstance est mêlée d’excellentes leçons sur la nécessité de respecter les dieux et sur les dangers auxquels un état s’expose en accordant trop facilement la bourgeoisie aux étrangers. — Dans une intention démocratique, le pouvoir judiciaire avait été abaissé et abandonné aux caprices du sort : les Guêpes attaquent cette maladroite innovation ; elles montrent les intérêts privés livrés à la vénalité et à la sottise, et veulent, par le ridicule de ces juges de hasard, ramener le peuple à une organisation plus aristocratique. — L’Assemblée des Femmes bafoue de la façon la plus plaisante les deux utopies favorites de tous les démagogues : à l’aide du suffrage universel, les femmes s’emparent des délibérations