misères et à mon ennui. Sa maison devint presque la mienne, et il me reçut toujours en ami. Quelques jours après notre première entrevue, Daïdi me donna un grand dîner, auquel il convia plusieurs de mes compagnons d’infortune. La table fut dressée sous une tente ; elle était couverte de vases de porcelaine de Chine ; on y voyait aussi quelques couverts d’argenterie anglaise, luxe qu’on avait considéré sans doute comme inutile jusqu’à ce grand jour. Deux plats de riz sec s’élevaient aux extrémités comme deux pyramides de neige, et dominaient tout le service. La viande de cabri faisait presque seule tous les frais du dîner : ici, desséchée sur la braise et arrosée de jus de citron pimenté ; là, nageant dans des flots de mantègue, espèce de beurre préparé qu’on tire de l’Inde, et que fournit le lait des chameaux. Des sucreries et des fruits complétaient le repas : il y avait des melons, des pastèques, des dattes et différentes espèces de bananes. Pour boisson, on nous versait de l’eau rafraîchie dans des gargoulettes arabes, du vin de palme renfermé dans des vases de bambou, et une infusion de feuilles de giroflier, dont la saveur brûlante était plus propre à flatter l’odorat que le goût. Daïdi ne pouvait prendre part au festin, sa religion lui défendait de manger avec des étrangers ; mais, assis dans un grand fauteuil, à quelque distance de la table, il donnait ses ordres, et faisait dignement les honneurs de sa maison.
Cette fête avait attiré quelques curieux, elle fit du bruit, on parla de nos usages singuliers, et, quelques jours après, un des principaux personnages de l’île vint nous prier de lui donner le Spectacle de notre gracieux appétit. Une pareille invitation n’était pas très séduisante ; mais le solliciteur était puissant et passant pour être très bien placé dans les bonnes grâces du sultan. La prudence fit taire la susceptibilité, et malgré notre répugnance il fallut accepter. Le lieu du rendez-vous était un pavillon décoré avec prétention, mais sans goût : des nattes de toutes couleurs tapissaient les cloisons, et plusieurs lampes de cuivre pendaient aux solives. La chère fut médiocre, il y avait beaucoup d’apparat et point de cordialité. C’était une véritable représentation, nous étions comme sur la scène. En face de nous s’ouvrait une tente non éclairée, où apparaissaient dans l’ombre des turbans et des manteaux. La crainte que ce lieu inspirait à quelques-uns, l’altitude servile avec laquelle d’autres en approchaient, quelques mots échappés aux insulaires, nous firent bientôt comprendre que le sultan était au nombre des spectateurs. Nous étions au dernier acte de cette comédie d’un nouveau genre, et nous avions assez bien rempli nos rôles, car les plats étaient vides ; nous allions nous lever quand parut un homme apportant deux épées, un énorme poignard et un grand sabre. Le maître du logis prit ces armes, les déposa sur la table et nous invita fort civilement à choisir. Nous nous regardâmes tout interdits ; mais il insista, il ne demandait