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Il ne trouve d’abri que dans les lieux solitaires, sous un rocher au bord de la mer, dans quelque cabane perdue sous les arbres, où la compassion va lui jeter de loin quelques misérables alimens. — L’ophthalmie est aussi très commune sur ces rivages sablonneux, et l’on a imaginé comme préservatif l’emploi d’une certaine poudre jaune appliquée autour des yeux ; puis le remède est devenu un agrément, une beauté, et jamais les indigènes ne sortent sans avoir tracé avec une attention minutieuse cette singulière auréole autour de leurs paupières.

En général, les Maldivois sont légers, crédules, superstitieux, comme tous les peuples ignorans. Et d’où leur viendrait la lumière ? Leurs cabanes ne sont visitées que par de pauvres matelots naufragés, qui n’ont plus dans le cœur que la souffrance, la misère et le désespoir. Et quand même ces matelots pourraient leur apporter de sages conseils, des vérités utiles, les insulaires les repousseraient. Le monde est ainsi fait partout : s’il a pitié du malheur, il n’a foi qu’aux enseignemens de ceux qui ont le pouvoir et la force. Joignez à cette disposition de notre misérable nature les exigences et l’empire d’une religion qui prêche un fatalisme grossier, qui condamne la réflexion comme un attentat, le changement comme une impiété: alors vous comprendrez la nuit épaisse et lourde qui pèse sur toutes ces îles. L’habitant des Maldives quitte rarement ses rochers de corail. Pour lui, l’univers est dans son petit archipel ; quand il a visité dans sa pirogue les îlots les plus voisins, quand il a péché sur son rivage, fumé son gourgouli, rêvé pendant quelques années, son existence est pleine, sa destinée s’est accomplie. Il en est cependant qui, poussés par une ambition peu commune, se sont aventurés jusqu’à la côte Malabare, qui même y ont séjourné. Ce sont là de grands voyageurs ; quand ils reviennent dans leur île, on fait cercle autour d’eux. Ils parlent beaucoup ; malheureusement ils n’ont rien appris. S’ils ont vu d’autres sables, ils n’ont pas vu d’autres hommes ; ils apportent quelques petits meubles en bois de sandal, des étoffes de soie ou de coton, mais pas une idée nouvelle. Seulement, par habitude, ils sont devenus plus tolérans, plus communicatifs avec les étrangers.

Un soir, je rencontrai sur le rivage un de ces rares voyageurs. Il vint à moi, me tendit la main, et m’adressa la parole en anglais. C’est chose merveilleuse comme le plus petit rapprochement devient intimité, quand tout d’ailleurs est séparation. Je n’avais jamais vu cet homme, et il me sembla retrouver une vieille connaissance. Il se nommait Daïdi ; il avait, pendant quelque temps, fait un petit trafic à la côte Malabare, il avait visité les résidences anglaises et s’était trouvé en rapport avec des Européens. Ayant acquis une petite fortune, il était revenu à Malé, où ses voyages et son argent l’avaient mis en grand crédit. Il avait gardé sa bonne nature, et malheureusement aussi son ignorance native. S’il ne fut pas très utile à ma curiosité, il fut du moins secourable à mes