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au-dessus des eaux ces immenses coupoles de corail, aujourd’hui revêtues d’une luxuriante végétation, où se balancent des cocotiers gigantesques, où des arbres séculaires enfoncent leurs racines ? Ces îles madréporiques, y compris les Laquedives et le petit archipel de Chagos, composent une chaîne d’environ quatre cents lieues, du 13e degré de latitude nord au 7e de latitude sud, et ce qu’il y a de plus remarquable, cette chaîne dans toute son étendue est régulièrement perpendiculaire à l’équateur. Pourquoi ces pierres vivantes se sont-elles ainsi alignées ? quelle loi leur a prescrit cette direction ? Ce sont autant de questions qui attendent encore les solutions de la science.

La première relation d’un voyage aux îles Maldives remonte à l’an 1508. Almeyda les trouva ce qu’elles sont aujourd’hui ; leur importance, loin d’avoir grandi, semblerait plutôt avoir décliné. Les Portugais, ces anciens maîtres de la côte Malabare, tentèrent vainement de s’en emparer. Du consentement des insulaires, ils avaient formé un établissement et construit un fort ; mais, aussitôt qu’ils eurent laissé percer leurs desseins ambitieux, ils furent chassés, et leur forteresse fut démolie. Depuis lors, ces petites îles ont conservé leur indépendance au milieu des envahissemens successifs d’un autre peuple qui a fouillé toutes les mers. Peut-être ne doivent-elles qu’à l’oubli cette indépendance dont leur chef se montre pourtant si fier. A mon arrivée, j’avais prié un de ses officiers de lui demander une audience ; il me fit répondre qu’il ne me connaissait aucun titre à une pareille faveur, que lui, sultan des îles, ne pouvait, sans compromettre sa dignité, recevoir un simple voyageur comme moi, ajoutant, par courtoisie sans doute, que si jamais le roi de mon pays venait le visiter, il lui ouvrirait les portes de son palais. Le grand-seigneur, dans son château des Sept-Tours, au milieu de la plus belle ville du monde, n’a pas plus d’orgueil que ce petit prince sauvage étendu sur sa natte, environné de cabanes et de rochers. Le gouvernement des Maldives n’est pas seulement un despotisme absolu, c’est une théocratie complète. Ce roi est tout à la fois le chef suprême du peuple, le grand-prêtre et le représentant de Dieu ; la religion est comme incarnée dans sa personne ; il n’y a point d’autre loi que sa volonté. Le sultan sort rarement de son prétendu palais, où il demeure enfermé avec ses femmes, passant son temps à fumer, à chanter des prières, à recevoir le tribut qu’on va lui porter en nature, s’occupant quelquefois de ses bateaux et de son commerce, et, quant au reste, laissant ses sujets obéir aux usages. Son indolence lui plaît, il se contente de l’espèce de culte qu’on lui rend, et il croit se renfermer dans l’esprit de sa mission souveraine et sacerdotale en se montrant inaccessible et lier surtout à l’égard de l’étranger. Il a près de lui quelques gardiens, et ne communique guère avec ses sujets que par l’intermédiaire de ses ministres, qui se réunissent dans un établissement voisin du palais.