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juger par l’inflexion de sa voix. Nous lui répondîmes en français, en anglais, en nous servant aussi de tous les mots du pays que nous avions pu apprendre à Tinandou ou à Souadive, mais qui ne furent pas mieux compris que le reste. Enfin il se retira, nous laissant étourdis de son éloquence et livrés à nos tristes réflexions.

Le jour suivant, on nous conduisit à la maison commune, logement destiné aux voyageurs, espèce de caravansérail appuyé contre les remparts, non loin de la porte par laquelle nous étions entrés. Cette demeure, environnée d’une vaste cour sans ombre, sans culture, révélait par sa triste nudité le domaine de l’hospitalité publique. J’en vins à regretter les cases de bambous de nos bons insulaires de Tinandou et de Souadive. Mes dernières illusions s’étaient évanouies à la vue de l’hospice où l’on nous avait confinés. Arrivé au terme du voyage, je n’avais même plus pour consolation l’incertitude et le vague de l’avenir ; tout ce que je pouvais espérer après avoir langui quelque temps sur ce misérable coin de terre, c’était d’être jeté dans les forêts de Ceylan ou sur quelque plage de la côte Malabare. J’essayai de combattre, par l’influence des objets extérieurs, les sombres pensées qui m’assiégeaient. Dès-lors, pour me fuir moi-même, j’étais sans cesse en mouvement. Je visitai l’île dans toutes ses parties, le matin et le soir sur le rivage, au milieu du jour dans les chemins ombragés, parcourant tous les lieux, me mêlant à tous les groupes, et bien souvent surpris par la nuit assez loin tic notre triste demeure.

L’île Malé, quoique d’une très médiocre étendue, n’est pas indigne de l’attention du voyageur. Elle est couverte d’habitations qui, réunies quelquefois en bourgades, souvent isolées au milieu de petits bois de cocotiers ou de jardins, lui donnent l’aspect d’une grande ville bocagère. Chaque propriété est environnée d’une haie de bambous ; les chemins sont bordés d’arbres à pain aux larges feuilles luisantes et profondément découpées. Dans l’intérieur de l’île, les arbres et les plantes se pressent selon leur caprice, et font une harmonieuse confusion de formes et de couleurs : ici, le badamier avec ses nombreux étages de verdure ; plus loin, le dattier qui agite ses panaches argentés, le multipliant aux mystérieuses arcades, le bananier avec ses longs régimes de fruits. On y rencontre aussi très fréquemment un grand arbre dont j’ignore le nom, et qui de loin surprend l’œil par sa physionomie étrange. Figurez-vous une haute colonne sur laquelle tremblent, comme autant d’étoiles, des milliers de petites feuilles légères qui courent et se confondent depuis la base jusqu’au sommet, où s’étend comme un chapiteau de feuilles larges et épaisses. Les Indiens mutilent les rameaux de cet arbre, le dépouillent de toute végétation, ne lui laissant que les branches qui couronnent sa cime élevée, puis ils déposent à la racine quelques grains de bétel. Cette plante grimpante et vigoureuse s’attache