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en vain quelque vaisseau étranger, nous n’aperçûmes que des mâts de cocotier et des voiles de pagne ; c’est en vain aussi que nous cherchions la place où nous pensions descendre : notre barque passa sans s’arrêter pour aller mouiller à une des petites îles qui forment comme une garde avancée autour de la capitale. Il était défendu d’entrer dans le port sans une permission spéciale du sultan : première manifestation de la royauté. La crainte et la défiance, ces tristes compagnes de l’autorité souveraine, environnent donc tous les trônes, même la natte d’un petit prince sauvage qui doit son misérable empire aux insectes de l’océan ! L’impatience me tint éveillé une partie de la nuit, et le matin 30 décembre nous entrions dans le port de l’île Malé ou Maldive. Au milieu de l’île s’avance la citadelle, qui domine toute la plage et divise la mer en deux bassins. Celui qui est à l’occident, plus large et plus profond, reçoit les grandes barques et les bateaux du sultan ; l’autre, plus étroit, s’étend vers l’orient et sert de rendez-vous à une multitude de pirogues qui, chaque matin, prennent pour ainsi dire leur volée et reviennent le soir, chargées de poisson, échouer sur une lisière de sable qui environne ce bassin. A peine étions-nous mouillés, qu’un bateau se détacha du pied de la citadelle et vint le long de notre bord. Un homme enveloppé d’une espèce de cafetan rouge en sortit, prononça quelques mots, et nos guides lui désignèrent notre capitaine. Aussitôt il lui tendit la main, le salua du nom de capitan saheb, et lui fit signe de descendre dans son embarcation. Je les suivis, et quelques minutes après nous posions le pied sur un petit pont qui touche aux remparts. Nous y étions attendus par un grand nombre de curieux ; presque tous portaient des tuniques blanches et des turbans de diverses couleurs, ce qui de loin formait un spectacle assez plaisant, car les Maldivois parlent rarement sans agiter la tête, et il fallait voir ces boules bleues, rouges, vertes, se mouvoir dans tous les sens.

Nous attendîmes quelque temps notre second capitaine et l’officier anglais, qui venaient dans un autre bateau, puis nous nous mîmes en marche sous la conduite de notre guide. Nous suivions de longues rues tortueuses, nous traversions des places, quelquefois même de petits bois de cocotiers ; enfin on s’arrêta devant une maison d’assez belle apparence. L’intérieur ne ressemblait point aux habitations que nous avions jusqu’alors occupées : point de lits suspendus, mais dans toute la longueur une espèce de pupitre où plusieurs hommes étaient à écrire. Au lieu de plumes, ils se servaient de longs roseaux peints des plus vives couleurs et ornés de dessins dans le goût chinois. Nous nous trouvions, selon toutes les apparences, dans un des bureaux du gouvernement ; c’était là notre domicile provisoire. Un des principaux personnages de cet établissement vint nous recevoir et nous adressa un long discours composé en grande partie de phrases interrogatives ; à en