une trentaine de maisons, et l’île entière n’a pas plus de deux milles de circonférence. Ma curiosité fut bien vite satisfaite, et j’attendais avec impatience le moment du départ ; mais il fallut passer plusieurs longues journées dans cette triste résidence. Nous avions sous les yeux la pleine mer qui nous séparait de l’île du sultan. Combien il nous tardait d’aborder à ses rivages ! Là nous devions trouver tous les secours, toutes les consolations dont nous avions besoin dans notre malheur. Les insulaires, dans leurs récits, n’en parlaient jamais qu’avec enthousiasme : c’était un sol sacré, une terre privilégiée où abondaient toutes les richesses de l’Inde, tout le luxe de l’Orient.
Le 25 décembre, à six heures du soir, nous quittions le petit port de Souadive, et bientôt une lame profonde, venue de la haute mer, nous fit sentir que nous n’étions plus sur les eaux tranquilles d’un bassin. Notre flottille traversa rapidement le canal du nord, et, le lendemain, nous nous trouvions au milieu des récifs qui environnent l’atollon Adoumatis. Les îles qui en dépendent me parurent plus riches que toutes celles que j’avais jusqu’alors visitées ; il y avait plus de mouvement, plus de bateaux, et à chaque instant une voile, en se détachant du rivage, venait révéler quelque petite baie masquée par de grands arbres. Le soir, nous fîmes escale à l’île la plus méridionale de l’atollon Nilandou. Je fus surpris d’y trouver deux villages : l’un, placé à quelque distance de la mer, me parut être la résidence des principaux habitans du pays, car les maisons y sont grandes et environnées de vastes cours ombragées ; l’autre, composé de modestes cases qui se pressent en demi-cercle autour d’un petit hâvre, ne peut servir d’abri qu’à de pauvres pécheurs. Il y avait dans le port quelques bateaux, qui y prenaient leur chargement de noix de coco et de balles de caire ; c’est le nom que les Maldivois donnent à une espèce de bourre très épaisse, formée des filamens qui enveloppent la noix de coco, et dont ils font leurs cordages.
J’ai passé quelques heures à peine sur ce petit coin de terre, et cependant je ne l’oublierai jamais. Je vois encore d’ici ses chemins qui serpentent, les beaux arbres à pain qui les bordent, leur feuillage un peu sombre, mais formant dans le lointain ces lignes bleues que l’œil suit avec tant de plaisir. J’aperçois, au fond d’un petit bois de cocotiers, une maisonnette bien simple, et qui pourtant me fait rêver encore. Quand j’y entrai, une jeune fille, à demi couchée sur une natte, fixa sur moi ses grands yeux pleins de langueur. Jusque-là, les femmes avaient pris la fuite à mon approche ; elle, au contraire, me regardait avec intérêt. Lorsqu’elle se leva, je trouvai ravissant ce costume, qui jusqu’alors m’avait paru ridicule. L’espèce de sac dans lequel les autres femmes me semblaient renfermées avait pris sur son corps les formes les plus moelleuses, et la gêne qu’il occasionne me paraissait une voluptueuse timidité. Près d’elle était un homme déjà âgé, à la physionomie simple et bienveillante ; il me salua, m’offrit la moitié de sa natte, puis