causé une si vive émotion lorsque nous l’avions vu se diriger vers les débris de l’Aigle ; nous avions devant nous un lieutenant et cinq matelots du navire anglais Louisa Munro. L’officier nous raconta toutes les circonstances de son expédition. Son capitaine n’avait point vu nos signaux ; mais, apercevant le navire naufragé, il avait fait mettre le canot à la mer et lui en avait donné le commandement avec ordre de le visiter. Le lieutenant s’était acquitté de cette mission, puis aussitôt remis en route pour rejoindre ses compagnons ; surpris par la nuit, il avait fait des efforts inutiles, et ses matelots s’étaient vainement courbés sur leurs avirons. Un grain qui s’éleva avec violence avait sans doute forcé la Louisa Munro à s’éloigner de ces parages dangereux, car le lendemain, au jour, il s’était trouvé en pleine mer, n’apercevant plus son navire, et voy.int seulement à l’horizon quelques petites îles. A force de rames, il avait atteint les débris de l’Aigle, sur lesquels il passa la nuit. Le jour suivant, il s’était dirigé vers la terre, emportant quelques provisions échappées au naufrage : une barrique de vin et plusieurs bouteilles d’eau-de-vie ; il avait relâché sur un îlot à fleur d’eau où il avait passé la seconde nuit, et de là, faisant voile vers les grandes îles, il avait touché à Tinandou ; il y avait trouvé les traces de notre passage et des indications qui avaient dirigé ses recherches. L’arrivée de ces étrangers pouvait compromettre notre tranquillité ; il était à craindre qu’ils ne missent le désordre dans notre équipage. La découverte qu’ils avaient faite à bord de l’Aigle prouvait l’infidélité d’un de nos officiers, et l’usage qu’ils en faisaient justifiait déjà les prévisions de notre capitaine. Heureusement nos matelots n’entendaient pas un mot d’anglais, et notre capitaine, prenant aussitôt sur les nouveaux venus l’autorité qu’il avait conservée sur son équipage, leur ordonna de lui remettre les liqueurs qu’ils avaient apportées. Cette mesure nous sauva d’un danger et nous assura une ressource, car le vin, distribué avec réserve, devint un grand soulagement dans notre détresse.
Cependant les journées s’écoulaient, une brise favorable venait battre nos voiles, et je ne voyais faire aucun préparatif de départ. Je remarquais chez les insulaires une agitation singulière ; de nombreux bateaux arrivaient avec de nombreux équipages ; nous n’étions pas sans inquiétude ; chacun de nous chargea ses armes et se tint sur la défensive. Notre capitaine demanda une explication, on lui répondit comme à l’ordinaire : « Le vent n’est pas bon (ouaillé accia né). » Il eut un moment l’idée de recourir à la force ; puis, réfléchissant aux funestes conséquences d’une première démonstration hostile, se rappelant d’ailleurs l’hospitalité qui nous avait été si généreusement accordée, les mœurs douces et l’esprit timide de ce peuple, il résolut d’attendre et d’épuiser les voies pacifiques avant d’employer la violence.
Le lendemain, il y eut une grande réunion à laquelle furent