d’échouer à chaque instant. Si l’espoir de la délivrance soutenait encore notre courage dans cette pénible nuit, il nous fallait au moins un point de relâche pour attendre le sauveur que la Providence semblait nous envoyer. Nous nous mîmes à la recherche de l’île déserte où nous avions abordé lors de notre naufrage. Nous l’aperçûmes enfin, et, après l’avoir contournée avec précaution, nous allâmes débarquer à la partie du rivage qui nous était connue. Sans perdre de temps, on rassembla les branches tombées des arbres, on en forma une pyramide, on y mit le feu, et la flamme s’élança avec tant d’impétuosité, que nous eûmes bientôt à craindre un incendie de toute l’île. On s’empressa de modérer la flamme, en lui laissant encore assez d’éclat pour signaler la présence des naufragés, et tous les yeux interrogèrent la pleine mer qui recelait le vaisseau libérateur. Enfin une voix s’écria : Voilà son feu ! Ce fut un transport général, on se montrait avec enthousiasme le point lumineux qui s’élevait ou s’abaissait, déjà on se croyait à bord. Il y eut quelques instans d’une joie délirante, puis tout devint morne ; on avait cessé d’apercevoir le feu. Comme cela arrive toujours en pareil cas, on s’efforça pourtant de trouver des consolations à la détresse commune, — Il a viré de bord, disait l’un. — Il aura pris le large pendant la nuit, disait l’autre, et demain au jour nous le verrons reparaître. — Nous étions fatigués d’aller et de venir sur la plage ; il fallut s’arranger pour la nuit : je fis choix de deux belles palmes de cocotier, qui, posées d’une certaine façon, formèrent encore un assez bon lit pour un pauvre aventurier depuis long-temps habitué à ne compter que sur son manteau.
Le jour parut sans le navire ; jusqu’à midi, nos yeux demeurèrent attachés à l’horizon : rien ne se montrait ! Alors vint le découragement, puis la colère ; toutes les bouches s’ouvrirent pour appeler la malédiction sur le vaisseau inhospitalier. Il fallut enfin se résigner, et chacun descendit en silence vers les bateaux. Plus d’illusion, car nous retournions à Tinandou, où nous attendaient les mêmes ennuis, la même vie si triste, si languissante. Nous avions en vue quelques bateaux pêcheurs que la nuit ramenait au mouillage. De leur groupe se détacha une petite voile, mais si légère, si rapide, qu’on eût dit un oiseau de mer qui rasait la surface des eaux en y laissant tremper l’extrémité de ses ailes. Elle mit le cap sur nous avec tant de précision, qu’elle vint pour ainsi dire s’abattre sur notre chaloupe. À cette vue, notre capitaine, croyant prudent de se tenir sur ses gardes, nous commanda de visiter nos armes et de les tenir prêtes ; mais soudain la voile devint immobile, puis elle tomba, nous laissant voir une embarcation d’une forme gracieuse, d’une propreté admirable, et entretenue avec un luxe asiatique. Des pagnes fines flottaient sur ses mâts ; ses cordages étaient d’un filin brillant qui imitait la soie ; les hommes qui la montaient étaient vêtus avec une certaine élégance. Ils nous saluèrent et nous offrirent des