Nous passions nos journées assez tristement, assis ou couchés sur les bancs publics pendant la chaleur, errant autour du village le soir et le matin. Ainsi se traînaient depuis plus d’un mois nos heures de captivité. Aucun événement n’était venu en rompre la monotonie, quand un soir deux Maldivois, accourant par le chemin de la mosquée, prononcèrent quelques mots qui mirent aussitôt tous les insulaires en mouvement. Nous voulûmes les suivre, mais ils nous le défendirent. Fidèles à notre habitude de respecter leurs usages et même leurs superstitions, nous nous éloignâmes, et, prenant une direction opposée, nous allâmes nous placer sur une pointe de sable qui s’avance au loin dans la mer, et, semble vouloir joindre la grande île à un petit îlot inhabité. Nous avions pour ce lieu une prédilection toute particulière, qui tenait moins aux agrémens du site qu’à la situation de nos âmes. De cette pointe, la vue s’étendait sans obstacle jusqu’à l’horizon, où se montraient les débris de notre malheureux vaisseau. Souvent nos yeux étaient demeurés des heures entières fixés sur ce triste spectacle ; nous calculions douloureusement les progrès de sa destruction. En voyant ses vergues brisées, les lambeaux de ses voiles que se disputaient les vents, nous étions émus comme si nous avions été témoins de l’agonie d’un vieil ami. Jugez de notre surprise, quand tout à coup apparut un beau navire étincelant de loin comme une tour blanche. Nous allions croire à une résurrection, lorsque nous reconnûmes un vaisseau étranger qui longeait la côte. Voilà donc cette grande nouvelle apportée avec tant de mystère, parce qu’il entrait sans doute dans les projets des Maldivois de nous cacher le passage de ce navire ! Aussitôt notre capitaine court au village ; il en revient avec un pavillon que nous plaçons à la cime d’un arbre et que nous agitons dans tous les sens. Peine inutile ! le vaisseau passe sans apercevoir nos signaux. Nous le suivions tristement de nos regards ; soudain il masque ses voiles et demeure en panne. Il avait aperçu les débris de l’Aigle, et notre délivrance nous parut certaine, quand nous vîmes une barque se détacher de son bord et se diriger vers le lieu du naufrage. Sans perdre un moment, nous traînons à la mer nos embarcations, nous y plaçons quelques vivres et tous nos bagages. Il était six heures ; le jour commençait à baisser, et nous avions au moins trois lieues à faire avant de franchir la passe qui conduit hors des récifs et sert pour ainsi dire de porte à la pleine mer. Nous marchions en silence, le petit canot commandé par le second capitaine en avant pour éclairer la route, puis la chaloupe, où se trouvaient le capitaine et le reste de l’équipage.
Bientôt la nuit vint, une nuit très obscure ; on n’apercevait plus de récifs, plus d’île, plus de navire. La brise tomba aussi, et on n’entendit plus que les coups de la rame et le léger bruissement des flots qui venaient se briser sur des madrépores à fleur d’eau où nous courions risque