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Leur grande utilité politique était si généralement sentie, qu’après la mort d’Eupolis dans, la guerre contre les Lacédémoniens, une loi expresse les dispensa de tout service militaire, et la simple proposition d’appliquer à d’autres besoins, momentanément plus pressans, les fonds qui appartenaient au théâtre, était punie de la peine, capitale[1]. On imposait, comme une charge publique, aux plus riches et aux plus intelligens, de former les chœurs et de subvenir à tous les frais extraordinaires de la mise en scène[2], et ils luttaient à l’envi de zèle et de magnificence. Le prix d’entrée fut de plus en plus abaissé[3], et, lorsque l’alanguissement du patriotisme eut forcé de stimuler les citoyens à prendre part aux délibérations du forum par un salaire de présence, on accorda aussi une prime à ceux qui se préparaient à remplir leurs devoirs politiques en venant assister aux enseignemens du théâtre.

Dans ses aspirations vers un monde plus en harmonie avec ses idées du beau, le poète souffre au milieu des faits comme au fond d’une prison fermée aux rayons du soleil, et substitue constamment dans ses rêves les plus idéales conceptions aux réalités les plus nécessaires. Telle est la cause, bien mal comprise jusqu’ici, de la proscription qu’une des plus brillantes imaginations de la Grèce a prononcée contre la poésie. Platon sentait que, dans les républiques factices pour lesquelles il écrivait l’ordre public n’était garanti que par le consentement mutuel des citoyens, et il craignait que des théories opposées à la constitution du pays n’en parussent une critique indirecte qui lui attirât la désaffection du peuple. Seuls peut-être, les premiers poètes comiques d’Athènes étaient animés d’un esprit politique entièrement différent. Loin de provoquer un mouvement quelconque, sous prétexte de progrès et de dévouement aux idées, ils devenaient conservateurs par destination, et appartenaient, eux et leur esprit ; au parti un passé. Leurs plaisanteries avaient toujours un sens rétrograde ; la satire n’était pour eux qu’une forme indirecte et plus saisissante de l’éloge ; en blâmant vivement les joies du présent, ils voulaient rehausser les vieilles mœurs et glorifier les anciennes institutions. La censure préalable de l’archonte eût sans doute empêché de mettre des railleries trop imprudentes au service des innovations mais, comme il y eut des magistrats choisis par l’opposition qui auraient, favorablement accueilli les comédies écrites dans l’intérêt de leurs idées, et qu’on n’en connaît aucune dont l’esprit ne

  1. Elle avait été proposée par Eubolus, et existait encore du temps de Démosthène.
  2. Afin que les citoyens les plus pauvres pussent assister aux représentations dramatiques, Périclès leur fit distribuer la somme qui était nécessaire pour entrer au théâtre ; mais, du temps de Démosthène, les riches la recevaient aussi, et il paraît qu’on finit par avoir un excédant. Comme des écrivains désignent également sous le nom de θιοριχόν le prix du billet et la prime, cette question est restée assez obscure.
  3. D’une drachme, il fut réduit à deux oboles, et plus tard à une seule.