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M. Gleïzès ne tint pas envers lui-même les promesses de longévité qu’il avait faites aux apôtres du régime végétal : il mourut à soixante-dix ans. C’était trop tôt pour l’honneur de sa doctrine, c’était surtout trop tôt pour ceux qui l’avaient connu. On aimait à respirer en lui ce parfum de tendresse et de mansuétude, ce sentiment profond d’humanité, qui était comme la fleur de cette heureuse nature. Son esprit de charité s’étendait à tous les êtres de la création. Ami des animaux, cela voulait dire, dans sa pensée, ami de Dieu et des hommes, car il regardait toutes les créatures comme unies entre elles et à leur auteur par des liens de parenté. Ces mêmes animaux semblèrent lui prouver un jour leurs reconnaissance pour le bien qu’il leur voulait : une page de son manuscrit avait été arrachée par un vent impétueux ; M. Gleïzès regrettait cette lacune que sa mémoire ne sut remplir, quand, repassant, six mois plus tard, par le même vallon, il retrouva cette page si chère dans un nid de loriots que des enfans lui apportèrent. Toute sa vie fut une idylle. Le voilà rentré au sein de cette même nature dont il était l’ami ; son ame se repose maintenant sur la corolle des plantes, sur ces fleurs qu’il chérissait. Ne craignez pas, pourrait-on écrire sur la tombe de M. Gleïzès en s’inspirant un peu de son naïf langage, ne craignez pas, innocens agneaux, chèvres timides, bœufs laborieux, de troubler son dernier sommeil. Paissez mélancoliquement l’herbe qui croît autour de cette tombe rustique : ici repose celui qui fut votre avocat et votre bienfaiteur. Jamais sa main n’a dérobé la vie à aucune créature. Conservateur du monde, il tenait par les fibres sensibles du cœur à l’univers des êtres. Si maintenant son principe immortel travaille (comme il le croyait) à se dégager des liens de notre planète, que la terre et les élémens soient légers à celui qui ne leur a jamais fait de mal durant sa vie !

N’y a-t-il pas une vérité utile enveloppée dans l’étrange système que nous venons d’examiner ? Les utopistes et les rêveurs préparent souvent à la science le germe de découvertes fécondes. Les alchimistes n’ont pas été inutiles à la chimie ; en passant à côté de la pierre philosophale qu’ils cherchaient, ils ont plus d’une fois trouvé des gaz et des corps simples qu’ils ne cherchaient pas. La question de l’influence morale de la nourriture, dégagée des préjugés personnels et des brouillards dans lesquels l’isolait l’auteur de Thalysie, est encore à résoudre. Dans les prisons de Philadelphie, on considère le régime comme un moyen de renouveler le caractère des criminels. L’idée de donner l’hygiène pour auxiliaire à la morale est une idée qui n’a rien d’absurde ; il faut seulement se tenir ici dans la voie sévère de l’observation et de l’expérience, si l’on ne veut pas être entraîné au chimérique. C’est à la physiologie qu’il est réservé sans doute d’apprécier plus tard la valeur des