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Nos voisins les Anglais sont sous ce rapport dans des conditions d’infériorité. L’usage immodéré de la viande, la pomme de terre et le thé sont pour eux, avec les boissons alcooliques, des causes d’affaiblissement. Un fait dont s’alarment, en ce moment les physiologistes et les médecins, c’est le développement que prend chez nous, par suite de la division des propriétés, la culture de la pomme de terre, ce tubercule malade qui menace de diminuer dans notre pays la culture du grain. Il y a lieu de s’effrayer aussi du zèle imitateur de certains économistes qui veulent couvrir la France de prairies pour lui donner la figure, et selon eux, l’abondance de l’Angleterre. Ils entendent effectivement convertir plus tard ces prés en bestiaux, c’est-à-dire transformer en une chair sanglante nos herbes et nos fleurs. Nous croyons qu’on ne change pas impunément le régime d’une race : la nation française a besoin de viande sans doute, mais la nature lui a surtout donné les épis et les grappes, comme les produits caractéristiques de son territoire. Elle doit conserver ces traits primitifs dans sa culture et dans son alimentation. Elle ne gagnerait rien à délaisser ses mœurs sobres et sa nourriture fortifiante pour l’humeur apathique et le régime sanglant des Anglais. Des expériences nouvelles démontrent, il est vrai, que la même substance prise constamment finit par perdre ses qualités nutritives : l’estomac aime la variété ; mais, bien qu’il soit omnivore l’homme, ayant l’univers entier pour magasin d’approvisionnement, peut faire pencher la balance de son alimentation plutôt d’un côté que de l’autre, et la médecine ; d’accord en cela avec l’humanité, l’engage à incliner vers le régime végétal. Selon Broussonet de Montpellier, l’homme serait carnivore comme douze et frugivore comme vingt. Il est à désirer que la science établisse nettement cette proportion.

La doctrine de M. Gleïzès a besoin pour être goûté de circonstances exceptionnelles. Les grands dangers développent une sensibilité qui leur est propre. Colomb, près de périr de faim au milieu de l’océan, donne la vie à un oiseau qui est venu s’abattre sur son navire. Les grandes douleurs ramènent aussi au régime végétal : la maréchale de Rochefort ne mangea plus de viande après la mort de son mari, qui la laissa inconsolable. Une jeune mère, atteinte d’une légère aliénation mentale et reçue à la Salpétrière, croit voir les débris du cadavre de son enfant dans les membres des animaux que l’on sert sur la table. Il existe un peuple tout entier qui a en horreur l’effusion du sang ; c’est, le peuple hindou. Durant la famille que les Anglais excitèrent dans l’Inde, vers le milieu du dernier siècle, il périt deux millions de Banians ; tous ces malheureux tombèrent aux pieds de leurs animaux domestiques, et, sous leurs doux regards sans avoir même la pensée de racheter leur vie par un meurtre. Chez tous les peuples de l’Europe où de semblables extrémités se sont reproduites, les hommes ont