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des pamphlets sous forme de dialogues. Le poète continuait en beaux vers, dans une histoire fantastique, les discussions de la tribune aux harangues : seulement, au lieu de réfuter les raisons de ses adversaires, il rendait leur personne ridicule. La logique adversùs hominem était autrement puissante dans une démocratie aussi spirituelle que le raisonnement qui s’attaquait aux choses ; le poète inventait des personnages qui n’intervenaient dans l’action que pour donner complaisamment la réplique à ses opinions ; souvent même ces formes détournées ne suffisaient pas à ses impatiences de prosélytisme, et il s’adressait directement au public dans une partie du chœur réservée aux prédications personnelles[1]. Le théâtre était alors tout ce que la presse périodique est devenue, une quasi-institution qui suppléait à toutes les autres, un pouvoir en dehors de la constitution, véritable panacée politique qui, suivant les circonstances, surveillait et protégeait également les gouvernemens et les gouvernés. Lorsque Périclès voulut substituer son influence à l’autorité des lois, il se crut obligé de supprimer la comédie[2] ; mais le peuple n’y renonça pas aussi facilement qu’à ses garanties officielles : trois ans après, le dictateur démocrate fut forcé de la rétablir, et elle acquit assez de puissance pour que Platon définît la république d’Athènes une théâtrocratie.

Il n’était pas donné cependant à tous les poètes de jeter au hasard l’autorité, de leur esprit dans la direction des affaires ; la loi avait fixé une majorité dramatique qui dépassait de beaucoup l’âge où l’on pouvait exercer ses autres droits de citoyen[3], et il fallait qu’un des magistrats investis de la plus haute confiance populaire, un archonte, examinât préalablement les pièces et en autorisât la représentation. Sous le bénéfice de ces précautions, toutes les mesures avaient été prises pour assurer l’existence et l’éclat du théâtre. Un salaire considérable était acquis à tous les poètes comiques comme aux autres fonctionnaires en activité, de service, et un jury impartial décernait les plus honorables récompenses à celui que le peuple avait goûté davantage[4].

  1. On l’appelait la parabase, et, lorsque l’on s’effraya de la puissance qu’avaient acquise les poètes comiques, on la supprima, sur la proposition de Cinésias.
  2. Peut-être le désir de se venger des plaisanteries des poètes comiques ne fut pas non plus étranger à ce coup d’état ; nous savons qu’il fut attaqué par Cratinus, Eupolis, Hermippus, et Aristophane lui-même, qui l’appelait le Jupiter Olympien d’Athènes.
  3. Nuées, v. 530 ; Guêpes, v. 1018. Il fallait avoir trente ou même quarante ans, le chiffre est fort incertain.
  4. Ce jury était composé de neuf juges, et il parait, qu’on pouvait appeler de ses décisions ; voyez Eschine, Contra Ctesias, p. 625, édit., de Reiske.