son idée sont des raisons de sentiment. Les animaux, dans l’état de nature, n e craignent pas l’homme, il faut qu’il leur donne lui-même le signal de la guerre pour leur faire prendre la fuite. Comme plus tard la confiance de ces mêmes animaux à l’état de domesticité est horriblement trahie ! Il faut avoir habité une des barrières de Paris, il faut avoir vu ces immenses troupeaux qui vont, un jour par semaine, des pâturages à la mort. Les pauvres bêtes, exténuées, ont perdu le goût de l’herbe verte, comme le condamné à la peine capitale, qui refuse le plus souvent toute nourriture. La longue trace de leur mort est empreinte Sur une route qui ne finit pas. Les voilà, ces nobles animaux qui nous ont aidés à porter le fardeau du jour, les voilà destinés à la boucherie ! Leur voix plaintive, voix particulière à ces tristes et derniers momens, semble demander grace. On les pousse, effarés et glacés d’effroi, dans ces affreux repaires d’où sort une odeur de sang. Bientôt le couteau brille, et la victime tombe dans l’éternelle nuit. Du moins l’homme qu’on livre aux mains de l’exécuteur doit revivre après son supplice ; innocent ou coupable, il passe de la justice des hommes à la miséricorde de Dieu, tandis que l’animal frappé ne revit pas.
On voudrait corriger ce que de tels tableaux, tracés complaisamment par M. Gleïzès, ont de trop sombre et de trop affreux. Ce correctif, si nécessaire en face de pareilles scènes, c’est à la science qu’il faut le demander. Or, voici ce que la science nous enseigne. L’homme a été créé omnivore : sa vie est une absorption continuelle, il prend et il rend ; il prend à l’air ses gaz, à la terre ses fruits, aux animaux leur lait, il prend à tout, mais sur tous ces élémens dont il s’empare il réfléchit sa pensée. M. Gleïzès ne s’est pas dit que, pour ne point dévorer à chaque instant les animaux microscopiques dont l’air est chargé, il eût dû s’interdire la respiration. Vivre, c’est détruire ; ainsi l’a voulu l’éternel auteur des êtres. La nourriture absorbée prend en nous une vie nouvelle. Tous les végétaux tendent à s’animalier : cette tendance est une suite de la marche de la nature vers le perfectionnement. Les herbes viennent, pour ainsi dire, au-devant de la langue des animaux, les fruits tombent en quelque sorte dans les mains de l’homme ; on dirait que toute cette nature végétale sent le besoin de s’élever à un état de vie plus avancée. Tant que les plantes restent effectivement dans le milieu que leur a préparé la nature, elles ne possèdent la vie qu’en germe ; c’est en passant de ce milieu dans un autre que les végétaux arrivent à une existence zoologique. Elles achètent, si l’on ose ainsi dire, la vie par le sacrifice. Il en est de même des animaux inférieurs, lesquels s’élèvent en passant dans le corps des animaux supérieurs. L’acte de la nourriture est, sous ce nouveau point de vue, une vaste et perpétuelle métempsycose. Les êtres revivent les uns dans les autres par la destruction, en s’élevant toujours vers le sommet de la série animale.